Prologue

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- chaë, qu'est-ce que c'est, "l'Ino" ?

L'homme marqua une pause dans son travail, tourna la tête vers le petit garçon qui le regardait avec de grands yeux curieux et interrogateurs, avides de savoir.

Ces grands yeux violets, contrastant avec un teint pâle et des cheveux blancs et soyeux comme de la neige, qui le mettaient toujours mal à l'aise.

- Pourquoi est-ce que tu veux savoir ça, Damao ?

L'enfant baissa la tête.

- Je ne sais pas, chaë. J'ai entendu des hommes, ce matin dans la maison, qui parlaient avec toi. Ils ont dit ce mot, le seul que je n'ai pas compris.

- Tu as compris tous les autres ??

L'homme montra soudain un vif intérêt pour la réponse du garçon, ainsi qu'une certaine inquiétude.

- Je n'ai pas compris leur sens commun, mais j'ai compris chacun d'entre eux. Malheureusement, j'en ai oublié certains.

L'adulte sembla un instant rasséréné. Il reprit son travail en cours. Le poignard dont il était en train de finaliser le manche était déjà magnifique, en bois clair et doux, avec des gravures en or. Il resta un instant silencieux, semblant concentré dans son travail, qu'il faisait avec passion et minutie. Mais la vérité est que le forgeron-sculpteur sur bois était nerveux. La présence du gamin à côté de lui, son regard étrange, ses questions embarrassantes, le dérangeaient, le remplissaient à chaque fois d'un mal-être certain.

Le pire venaient de celles-ci, qui revenaient souvent :

"- chaë, pourquoi est-ce que les autres enfants ne veulent pas que je me joigne à eux ?"

"- chaë, qu'est-ce que l'amour ?"

"- chaë, ça ressemble à quoi, la douleur ?"

À cinq ans, pose-t-on vraiment des questions comme celles-là ? S'exprime-t-on ainsi comme un adulte cultivé ? Rien d'étonnant au fait que l'enfant soit seul. Et maintenant, ça. La Question. Le forgeron aurait aimé ne jamais l'entendre. Il aurait aimé fermer les yeux, changer le destin de son fils. En faire tout au plus le chef du village.

Mais sa mère en avait décidé autrement.

Certains au village avaient des dons. Nul ne pouvait imaginer la fierté du père quand celui de son fils s'était révélé. Un métamorphe. Son fils était un métamorphe, alors que lui, forgeron passionné et respecté, ne faisait pas parti du Clan des Arka. Et puis la déception lui était venue, lui coupant le souffle et l'écrasant sous la honte.

Damao s'était révélé incapable de contrôler son don, en développant ses autres pouvoirs : ce n'était plus un arkassan, c'était un mage. Sa mère en avait fait un mage, le privant de son aptitude première et naturelle.

L'enfant avait ainsi grandi, montrant une puissance et une incompétence à la contrôler jamais égalées. Privé de sa mère bannie, rejeté de ses pairs, représentant un danger. Des yeux violets que personne n'expliquait. Une intelligence, une maturité, une fragilité, une curiosité dérangeantes.

Et maintenant, malgré l'oubli tenté par tous, le destin du gamin le rattrapait.

L'homme serra les dents, s'arrêta dans son geste de polir l'arme qu'il fabriquait. Une décision. Il fallait prendre une décision. La réponse s'imposait à lui, et pourtant l'artisan refusait de l'écouter. Damao était son fils, et pourtant, jamais il ne l'avait considéré comme tel. C'était tout juste l'être dont il avait la charge jusqu'à ce qu'il ait l'âge de mourir. Car, au village, les mages ne pouvaient rester. Ces êtres violents, manipulateurs et meurtriers devaient mourir. Telles étaient les paroles des Gardiens. Alors, à quoi bon s'attacher ? À quoi bon donner de l'amour à un condamné ?

La Destinée du DragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant