Monaco (3)

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— Tu es sûr que tu n'as rien à me dire, mon trésor ?

Le soleil du milieu de journée brille, éclatant, les éblouit. Il se pince les lèvres. C'est dur de penser que son français va le quitter, mais le traître a apparemment été démasqué, il a ses affaires à régler.

— Tu vas me manquer, fais attention à toi, d'accord ? je suis inquiet de-

Pierre l'interrompt en lui volant un baiser. C'est tendre, il rougit légèrement de surprise avant de reprendre contenance.

— Je sais, Charlie. Je reviens bientôt, promis.

Il hoche la tête, restant sur le perron, comme une épouse regardant son mari partir à la guerre. Il rêve au mariage, il rêve à de grands projets. Mais il lui semble que d'autres se profilent à l'horizon. Il lui semble que c'est plutôt à lui d'achever une guerre qui a duré une décennie.

Je voulais me confier à toi, t'écrire les plus beaux mots

Mais tu me sembles bien plus doué que moi à cet exercice

Je t'ai rédigé ma longue, très longue épopée, ce supplice

J'ai eu peur que, devant toi, mes phrasés sonnent faux

Aujourd'hui, Monaco souffre depuis bien longtemps,

Aujourd'hui, Monaco souffre depuis bien plus de dix ans

Sous l'emprise, le courroux, le joug d'un roi tyrannique

Je laisse enfin tomber le bouclier pour dégainer mon épée

Et m'en vais mettre à l'usage toutes ces années de pratique

Aujourd'hui, un nouveau jour illuminera ma cité

Son frère l'attend dans le couloir. Ils échangent un regard. Durant ces deux dernières années, tandis que son père s'est affaibli, il a rallié peu à peu tous les conseillers. Tout ce qui a pu être fait, il l'a fait.

Il s'est battu pour son peuple, s'est battu pour avoir le fin mot de l'histoire. Il s'est battu pour nettoyer le trône de ce pays. Pour faire disparaître la raclure, la souillure qui l'ont entaché jusqu'à la moelle.

— Ferme la porte.

Il ordonne soigneusement à Arthur qui s'exécute sans un mot. Peu de gens sont présents dans la chambre de l'actuel roi. Tous sont au courant de ses actions. Pas un ne compte l'arrêter, pas un n'a émis d'objection.

L'épée à sa taille pèse lourd. Sa dernière utilisation date du combat pour les Pays-bas. C'est un rappel constant. Le seul cadeau que son géniteur lui ait jamais offert. Un poison et une bénédiction. Marqué au fer rouge.

Il la dégaine d'un geste souple. La lame est propre, fine, et la pièce y est reflétée. Il s'approche du lit simplement, se détachant de tout ce qui pourrait entraver sa volonté, de chaque sentiment superflu.

Son père remue légèrement. Mais à peine. La peur est visible dans son regard à la vue du glaive. Il le lève pour l'abattre avec force.

— Au revoir, papa.

Le sang tâche les draps. Les murs. Son épée. Gicle jusqu'à son visage. Sa respiration est hachée. Il se tourne vers les deux conseillers et le serviteur présent dans la pièce.

— Le Roi est enfin mort après une longue et terrible maladie. Il s'est éteint dans son sommeil.

Les deux conseillers inclinent la tête.

— Le Roi est mort, longue vie au Roi.

Puis ils sortent répandre la nouvelle.

L'épée lui glisse des mains et tombe au sol. Puis c'est lui qui se laisse tomber en un sanglot érayé. Ça a été dur, ça a été si dur mais ça en valait le coup pas vrai ? ça en valait le coup. Il ne méritait pas même sa pitié, il lui a fait tellement de mal.

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