Chapitre 1

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Ça bouillonnait en elle. Elle ne savait pas exactement ce que c'était. Pas vraiment de la haine, non, quand même pas. De la colère, plutôt. Une espèce de rage qu'elle trimballait partout avec elle, qui distordait toutes ses perceptions, qui remuait ses entrailles sans jamais se calmer. Elle savait qu'elle n'aurait pas dû éprouver ça. Qu'elle aurait dû être reconnaissante. À la limite, elle avait peut-être le droit d'être triste. Mais révoltée, ça ne faisait sûrement pas partie du programme. Et ça aussi, ça la mettait en rogne.

Elle détestait qu'on lui dise quoi faire. Ou même sans qu'on lui dise quoi que ce soit, mais simplement qu'on ait à son égard des attentes. Elle détestait ça. Détestait, détestait, détestait. Qu'on la juge. De quel droit, d'abord ? Ils ne savaient rien. Ils croyaient savoir. Croyaient la connaître. Ils ne savaient rien, rien. Voilà qu'elle avait envie de crier, maintenant. Et elle ne pouvait pas.

Parce qu'ils étaient là, tout autour d'elle, dans les couloirs, aux repas, et jusque dans son dortoir. À l'observer. À l'épier. Elle voulait ouvrir tout grand les fenêtres et hurler. Hurler à s'en déchirer les cordes vocales, à faire exploser ses poumons, à craqueler les vitres. Il n'y avait même pas de fenêtres, de toute façon. Enfin, il y en avait, mais elles ne s'ouvraient pas. Elles étaient trop hautes, inaccessibles. Envie de pleurer aussi, un peu, mais ça, c'était hors de question.
Une prison ici, une vraie prison. Mais juste pour elle. Les autres, non. Ils riaient, s'interpellaient à voix haute, s'embrassaient. Comme si de rien n'était. Oh, tout le monde avait ses deuils, bien sûr. Comment faire autrement. Mais ils vivaient quand même. Show must go on, et tout ça. Oh, elle les détestait, avec leurs mines enfarinées et leurs sourires de circonstance, et toute cette hypocrisie, et les chuchotements dans son dos, et, et, et... Oh, peut-être que c'était de la haine, après tout.

Peu importe ce que c'était, ça ne passait pas en tout cas. Ça la remuait même tellement qu'elle en avait des nausées maintenant. Elle abandonna son sac et ses livres dans le couloir et se précipita vers les toilettes les plus proches. Pour être honnête, elle vomissait au minimum une fois par jour depuis qu'elle était revenue. Eh oui, elle et la faïence jaunâtre des toilettes de Mimi Geignarde étaient en passe de devenir de grandes amies. À vous donner envie de cogner dans les murs jusqu'à ce que vos poings saignent. Et pourquoi avec les poings, d'ailleurs ? Pourquoi pas carrément se frapper le crâne contre ces fichus murs avec leur carrelage stupide, et leurs joints fissurés qu'elle passait décidément trop de temps à fixer d'un regard absent...

Elle finit par émerger de sa rêverie malsaine. Il valait mieux qu'elle s'arrache d'ici avant que ce débile de fantôme ne revienne. Figurez-vous que Mimi Geignarde lui avait proposé son amitié ! Oui, vraiment : à se taper la tête contre les murs. Elle considéra d'un œil morne les robinets à tête de serpent, avant de se secouer et de se passer la tête sous l'eau. Elle fit tourner quelques gorgées dans sa bouche et recracha, essayant de se débarrasser du goût du vomi. Ça ne passait pas. Elle but encore un peu, mais de façon mesurée. Trop de flotte d'un coup, ça risquait de la faire vomir derechef. C'est qu'elle commençait à avoir l'habitude. Elle savait comment ça fonctionnait, maintenant. Un peu.

D'abord, elle avait cru qu'elle était devenue allergique au porridge. Elle avait arrêté le porridge. Ensuite, elle s'était dit que ça devait être le jus d'orange. Elle avait arrêté ça aussi. Maintenant elle savait. Elle était allergique à Poudlard. Ni plus ni moins. Elle voulait sortir d'ici, se barrer, s'en aller loin, loin. Ça non plus, c'était pas possible.

Elle leur avait dit que ça n'irait pas, qu'elle ne pouvait pas revenir. Ils n'avaient rien voulu entendre. Elle avait crié, hurlé, tempêté. Et la veille de la rentrée, elle avait carrément pleuré. Ce n'était pas quelque chose dont elle avait l'habitude. Sa mère avait eu l'air d'être touchée, mais son père avait campé fermement sur ses positions :

— Tu iras, un point c'est tout. On te fait la grâce de te proposer de refaire cette année, alors tu vas le faire, et en disant merci encore en plus. Tout le monde n'a pas eu le droit à une deuxième chance, alors arrête de te plaindre, tu veux ?

— Mais j'ai... Tout le monde va...

— Oh, oui, on le sait que tu t'es comportée comme une idiote, Pansy, ne t'en fais pas. Tu nous as fait bien assez honte quand on nous a raconté comment ça s'est passé.

Ses dernières protestations furent étouffées par un :

— Quand on est stupide, il faut assumer.

Voilà pourquoi elle était là, à essayer de se faire oublier. Ce qui ne fonctionnait que très modérément. On était en novembre maintenant. Elle sentait toujours leurs regards sur elle, leur mépris. Ça ne s'arrangeait pas. Et puis la solitude. Elle n'avait jamais été aussi seule de toute sa vie. Drago n'était pas revenu. L'enfoiré. Il l'avait abandonnée. Goyle était là, lui, mais depuis la mort de Crabbe, il paraissait encore plus abruti qu'avant. Il ne parlait presque jamais, et certainement pas à elle. En fait, personne ne lui adressait plus la parole, même chez les Serpentard.

Zabini et Nott restaient tout le temps ensemble. Au bout d'un moment, ils avaient arrêté d'essayer de parler à Goyle. Celui-ci inquiétait même les professeurs. À vrai dire, il aurait été plus à sa place à Sainte Mangouste qu'à Poudlard, mais personne ne semblait se soucier assez de son cas pour le faire remarquer à sa mère. Il était probable, de toute façon, que celle-ci ne voudrait rien entendre. Théo et Blaise, en tout cas, faisaient tout leur possible pour faire oublier qu'ils étaient des Serpentard. Grand bien leur fasse. Il y avait des gens qui arrivaient toujours à tirer leur épingle du jeu.

Visiblement, ce n'était pas son cas à elle. Elle, elle était définitivement grillée. Par sa faute, oui. Ce qui ne l'en rendait pas moins amère – au contraire.

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