1. L'anaphore

1.4K 269 504
                                    

        L'année de terminale avait touché à sa fin et avec elle l'internat, le lycée et les copains.

À peine avais-je fini de passer le bac que ma mère m'avait ordonné de les rejoindre, elle et mon père, à la maison. Ils tenaient à ce que je passe le dernier été de mon enfance avec eux, dans la ville où j'avais grandi. « La ville où j'avais grandi », qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir dire pour moi, aujourd'hui ? Là où on pourrait y entendre la douceur d'un foyer, les souvenirs innocents et naïfs d'une belle enfance, je n'y voyais plus qu'un ramassis de dégoût et de rejet.

Cela faisait quatre ans que je n'étais pas rentré chez moi et je n'avais pas eu besoin de ça pour être heureux. Alors pourquoi rentrer ? Pourquoi me forcer à ressasser ce passé si brumeux que j'avais tenté de fuir ? Ma mère n'avait pas le besoin de me faire subir ça, et pourtant elle l'a fait. Elle est venue me chercher le premier samedi du mois de Juillet à l'internat. Elle m'a fait monter dans la voiture après de rapides adieux à mes amis et puis elle a démarré, fière de ramener enfin son fils chez elle contre toutes les mises en garde de mon psy.

Je n'avais pas besoin de ça et pourtant, rentrer chez moi allait m'apporter bien plus que ce que je pouvais imaginer.

- Tu m'aides à monter tes affaires ? m'a demandé papa lorsque maman avait garé la voiture devant notre immeuble pour que nous puissions décharger toutes mes valises.

- J'arrive, ai-je répondu, la tête ailleurs.

Malgré les grognements mécontents de mon père, j'ai pris le temps de lever ma tête et d'analyser le monde autour de moi.

Ma rue, sa route et son goudron, son trottoir et ses passants. Et puis ses odeurs, ses sons bruyants, son agitation dynamique.

J'en ai conclu que rien de tout ceci ne m'avait manqué et je me suis détourné. J'ai attrapé la dernière valise qu'il restait sur le trottoir et je suis monté jusqu'au dernier étage de l'immeuble. Notre étage.

Durant mon ascension, des souvenirs me sont réapparus : l'odeur de l'humidité de la cage d'escalier, celle de la soupe du premier, les cris de la voisine au second et la batterie des petits du troisième. Même en y mettant toute notre âme il y a des détails que nous ne pouvons oublier, qui sont gravés en nous et qui nous ont forgés.

Après un instant d'hésitation, je me suis décidé à pénétrer dans mon ancien appartement. Mon chez-moi.

J'avais vécu treize ans en ce lieu, j'étais parti il y a quatre ans et durant tout ce temps rien n'avait changé : le paillasson décoloré, les cadres photo de travers, le mur de la cuisine plein de taches d'humidité, le tapis verdâtre et le canapé fleuri.

J'ai tiré la valise jusque dans ma chambre et lorsque mon père a déposé mon dernier sac, il a refermé derrière lui et m'a laissé seul.

Mon cœur s'est serré en revoyant ma chambre, mon trou de hobbit, mon labo scientifique.

Sur les murs, maman avait laissé intact tous mes dessins et mes posters. Il y avait encore les étagères pleines de mangas et de bande-dessinées, quelques figurines et des vieux CDs.

Je suis allé m'asseoir sur le petit lit une place qui était autrefois à ma taille mais qui, à ce jour, ne me permettait plus d'y allonger tout mon corps sans que mes pied ne dépassent.

J'ai pris le temps de regarder l'écran de mon téléphone qui m'affichait tout un tas de messages que m'avaient envoyés mes amis après mon départ. Il fallait que nous nous fassions à l'idée que plus rien ne serait comme avant. Les soirées clandestines à l'internat, les repas pizza du dimanche soir, les nuits blanches à réviser pour un baccalauréat pas si terrible qu'on ne l'avait imaginé, tout ça c'était fini. Nous ne nous reverrions plus jamais comme avant.

La Métaphore du CaméléonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant