3. L'euphémisme

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       Je ne sais plus exactement à quelle heure la soirée de Léontine s'est réellement terminée, mais j'avais fini par fuir ce lieu de débauche lorsqu'elle n'avait même plus été en mesure de retrouver la porte de sa chambre et que Sami, l'abominable petit-ami de Lou, n'avait plus lâché ses lèvres une seule seconde, comme s'il en était affamé. Tout cela m'avait tellement dégoûté que je m'étais enfui discrètement pour retrouver mon lit trop grand pour mes jambes d'adolescent.

Avec mes anciens camarades d'internat, nous avions déjà fait quelques fêtes et soirées arrosées. Des terminales m'avaient fait boire mon premier rhum-coca à quinze ans et ça m'avait retourné la tête au point que je m'étais mis à danser devant eux comme un fou. J'avais fait rire tellement de monde ce soir-là qu'après ça on m'avait beaucoup apprécié. J'étais devenu le « mec drôle qui danse comme un chimpanzé » et honnêtement, ça m'avait bien plu. C'est cool les chimpanzés. J'avais donc souvent été invité à des fêtes pour mettre en avant mes talents de danseur, et j'en étais devenu un expert. Aucun pas ne me résistait plus.

C'est durant ces années que je m'étais fait des amis comme je n'en avais jamais eu. Et l'une des meilleures, celle avec qui j'avais passé l'entièreté de mes journées durant presque quatre ans, était Agathe. Agathe et Anatole, les deux seuls roux du lycée. Anagathe ou Agatole pour les romantiques. A2R pour les mathématiciens. Le chimpanzé et la crevette pour les zoologistes. Ou Rouméo et Rouliette pour les poètes et les portugais. On nous avait nommés de tous les noms tellement notre duo était inséparable et de nombreuses rumeurs avaient été créées autour de nous. C'est que nous aurions pu former un beau couple tous les deux, il en allait de soi. Mais Agathe avait très vite compris que je ne serais jamais devenu son Roméo quand je lui avais parlé d'Éos, mon crush de seconde 4, et j'avais très vite compris qu'elle ne serait jamais ma Juliette quand elle m'avait parlé de Judy, sa crush de première 2. La situation nous avait convenu mais nous n'en avions jamais fait part au reste du lycée car jamais aucun de nous deux n'avait réussi à conquérir le cœur d'un Éos ou d'une Judy. Alors les fanfictions autour de notre couple avaient coulé à flot. Nous en avions bien ri.

- QUOI !? a hurlé Agathe à travers le téléphone. Tu l'as réellement surpris en train de se faire sucer par un gars !? Non mais j'y crois pas. C'est formidable. Grandiose. Il faut que j'écrive ça quelque part. Tu penses que je peux insérer un truc pareil dans le chapitre où Ginny surprend Harry avec Drago ? Non mais c'est formidable. For-mi-dable.

Formidable, ça n'était pas le mot que j'aurais choisi en premier pour décrire la situation. J'en étais encore traumatisé.

- Mouais, ai-je râlé. J'aurais préféré ne rien voir du tout. C'était horrible, je ne pouvais même pas m'enfuir par la porte sans les déranger.

- Ça n'est pas grave, je t'assure que tu étais là où il fallait, c'est génial ! Mais maintenant je veux les détails, sois précis. Est-ce qu'il avait la main dans ses cheveux ?

- Oui, ai-je grogné en cachant mon visage dans mes mains pour tenter de bloquer les souvenirs qui me revenaient en images.

- Oh ! Parfait ! Je prends note. Et alors quoi, il se mordait la lèvre ?

- Mais je ne sais pas Agathe, j'en sais rien ! Et puis je ne veux pas savoir, ça me dégoûte, ils me dégoûtent. Je vais pleurer.

Mon amie m'a répondu du tac au tac :

- Quoi ? Non mais ça va pas le tête toi, si tu verses une seule larme Ani je te jure que je ne viens pas te rendre visite dans ta ville cramoisie cet été.

- Si tu fais ça je te jure que tu peux dire adieux à notre coloc l'année prochaine.

- Vilain, a-t-elle répondu. T'as gagné, vas-y pleure un coup si ça te chante mais je ne comprends pas pourquoi. Ce que tu as vu hier est la meilleure chose qu'il pouvait t'arriver.

La Métaphore du CaméléonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant