La Métaphore du Caméléon

18. L'accumulation

      Les jours ont filé à toute vitesse et la fin de l'été commençait à arriver à grands pas. Je passais mes journées au boulot, et lorsque je n'y étais pas, je passais mon temps avec Louison ou Agathe. Avec mon amie, nous avions réussi à nous dégoter un appartement pour notre future colocation l'année prochaine, et à un prix assez raisonnable pour que je puisse me le payer sans que mes parents ne s'y opposent. Une franche réussite qui les a laissés sur le cul. Et puis en rencontrant Agathe, ils n'ont rien osé dire. Cette fille était un don de la nature et, avec elle, j'allais partir pour de bon.

Un samedi soir, une semaine avant notre aménagement avec Agathe, Léontine nous a proposé d'aller au cinéma. Nous nous sommes donc tous retrouvés au centre-ville vers dix-neuf heures. Léontine nous a fait la bise, Louison un check.

Agathe m'a lancé un regard de travers, j'ai haussé mes épaules discrètement.

Avec Lou, comme je m'y étais préparé, les choses ne s'étaient pas exactement passées comme prévu. Nous étions allés à la plage rien que tous les deux le lundi, mercredi il avait passé la soirée chez moi pour regarder Dragon Ball, jeudi il avait tenté une nouvelle fois de me faire regarder Star Wars, mais en vain car je m'étais endormi... . Enfin, tout semblait se passer bien et pourtant, je sentais que quelque chose clochait. Nous faisions tout ce que nous avions l'habitude de faire lorsque nous n'étions que de simples amis, et maintenant qu'il n'était plus avec Sami, j'avais espéré qu'il se passe un peu plus entre nous. Qu'il m'embrasse en me disant bonjour, qu'il me tienne la main dans la rue quand il n'est pas sur son skate, qu'il se blottisse contre moi lorsque l'on regarde un film sur son canapé. Mais il ne faisait rien de tout ça, et je n'osais rien tenter non plus.

Ce soir-là, Agathe a remarqué mon malaise quand Lou ne m'a fait qu'un simple check. Ses sourcils se sont froncés, elle nous a attrapés tous les deux par les épaules pour nous attirer contre elle et elle m'a lancé comme une bouée de sauvetage :

- Avec Léontine on va choisir le film, si vous alliez nous chercher des pop-corn, les tourtereaux ?

Elle a fait un clin d'œil à son amie et, nous laissant en plan, elle lui a attrapé le poignet et s'est engouffrée dans le cinéma d'un air déterminé.

- T'as vu ça, elle lui a pris la main, m'a fait remarquer Lou en affichant un sourire malicieux sur son visage.

J'ai esquissé un sourire.

- A ce rythme-là, elles vont finir par se bécoter pendant le film.

- Et notre mission sera une franche réussite. Il faut qu'elles s'assoient à côté.

J'ai approuvé cette idée lumineuse.

Lorsque les filles sont revenues une dizaine de minutes plus tard, elles nous ont annoncé qu'elles avaient choisi d'aller voir les Minions 2, ça a eu l'air de satisfaire tout le monde.

Avec Lou, nous avons acheté un paquet XL de pop-corn que nous avons vidé à moitié avant même que le film ne commence. Durant la séance, qui m'aurait en temps normal rendu ivre de joie, j'ai paniqué tout seul. J'ai vu la main de Lou posée sur sa cuisse à quelques centimètres de la mienne, j'ai vu ses yeux rivés sur l'écran, entendu son rire à chaque vanne. Et je n'ai su quoi faire. J'avais envie de poser ma main sur la sienne.

Le cœur battant à toute allure, une petite goutte de sueur perlant entre les deux cicatrices qui étaient maintenant affichées sur mon front, j'ai alors essayé. Mes doigts ont rencontré ses doigts. Ce contact m'a retourné le ventre, et je n'ai pas su si le sourire qu'il a eu juste après était une réponse à mon geste ou un simple rictus face à une réplique de Bob.

C'était étrange, ces petites marques d'affection que l'on pouvait se faire à présent sans retenue. C'était encore tout nouveau. Lou avait été un souvenir amoureux, puis un amour à sens unique, et maintenant un amour à l'état physique. Bien réel, sans limite. Pourtant, tout me semblait encore si flou entre nous.