8. Le pléonasme

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- Tu veux quoi ? m'a demandé Léontine en regardant la liste des boissons que proposait Le Wonderwall.

- Encore une bière ? ai-je suggéré.

Nous en étions à notre troisième depuis que le concert avait débuté. J'avais déjà la tête qui tournait mais l'ambiance du bar était si déchaînée que je ne m'en rendais même pas compte. De la fumée tapissait le plafond faute du nombre trop élevé de fumeurs, le groupe se donnait à fond et les tables du restaurant avait été déplacées pour laisser de la place aux spectateurs pour venir danser devant la scène. J'avais le front qui suait de m'être autant défoulé, Léontine aussi.

- On en a déjà trop bu, ça te dit qu'on essaie autre chose ? m'a-t-elle proposé en posant ses coudes sur le bar.

J'ai voulu faire pareil mais il collait tellement, faute de l'alcool renversé, que je me suis vite ravisé.

J'ai jeté un énième coup d'œil aux corps de Louison et Sami qui dansaient très serrés devant la scène. Les mains de ce dernier glissaient le long du fessier de mon ami. J'avais envie de les envoyer valser sur du Strauss dans les tréfonds de notre galaxie.

J'ai tourné mon visage vers Léontine, elle les dévisageait d'un air tout aussi dépité que moi. Ses yeux se sont détournés vers les miens, et nous nous sommes mis d'accord :

- On prend quelque chose de fort.

Cinq minutes plus tard, un serveur plutôt sexy et habillé comme un Peaky Blinders a posé devant nous quatre verres à shot de rhum-coca. Nous les avons bu d'une traite puis, lorsque nos regards se sont à nouveau tournés vers les amoureux qui s'aspiraient littéralement la bouche sur les paroles de The Cure. Nous en avons commandé deux autres.

Je n'ai pas recroisé Émeric de la soirée, et j'ai suspecté Léontine et Louison d'y être pour quelque chose. Je ne savais pas exactement quelle était la nature de la relation qu'ils entretenaient avec lui mais je n'étais pas certain qu'ils soient réellement ennemis, comme Léontine me l'avait suggéré. Après tout elle l'avait quand même invité à sa petite fête au début de l'été. Je n'ai pas cherché à comprendre, je me suis contenté de les remercier intérieurement et je me suis laissé emporter par l'euphorie de ce concert underground. Le public allait de dix-sept à plus de cinquante ans, c'était dément. Avec Léontine, complètements pompettes, nous avons pris l'initiative de ne pas rester collés à Sami et Lou, leur fusion trop démonstrative nous dégoûtait tous les deux.

- Anatole, je suis heureuse que tu sois là, m'a crié mon amie pour que je l'entende.

Sa voix trahissait son taux d'alcoolémie. Elle a passé son bras autour de mes épaules. J'ai fait de même avec le mien.

- Moi aussi, et d'ailleurs, il faut que je te fasse rencontrer Agathe, ai-je hoqueté à travers les hurlements du chanteur.

J'avais l'impression d'être dans une petite bulle, le monde autour de nous était un peu tanguant.

- C'est qui ?

- On va lui envoyer une photo.

J'ai sorti mon téléphone et j'ai tenté de réaliser mon code, mais en vain.

- Ani, c'est quiii ? s'est impatientée mon amie.

- Agathe, je t'ai dit.

- Elle est jolie ?

- Évidemment. Mais elle ne t'aime pas beaucoup.

Mon téléphone s'est bloqué pour six heures. Oups, j'avais raté mon code.

- Moi non plus je ne m'aime pas beaucoup.

J'ai remis mon portable dans ma poche et j'ai levé mon regard vers Léontine qui se dandinait sur la musique.

La Métaphore du CaméléonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant