Partie II : Le chantage (section 5)

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Il se tenait toujours très droit, dans une posture qui me rappelait celle d'un soldat. Encore une fois habillé d'un costume bleu presque aussi foncé que du noir, il fixait un tableau accroché sur le mur au bout du couloir.

Ne m'ayant pas encore aperçu, j'en profitais pour mieux l'observer. Il avait une très belle physionomie, je ne pouvais le nier. Avec son héritage à la fois génétique et de fortune, je comprenais pourquoi beaucoup de femmes avaient cherché à se marier avec lui, assez pour que cela l'agace.

"Je veux que tu séduises mon fils et l'épouse", m'avait demandé Ma Dame.

En le voyant maintenant, aussi impressionnant, j'eus une nouvelle fois la sensation qu'elle allait être terriblement déçue.

J'hésitais à passer mon chemin, sachant qu'au moindre mouvement de ma part, il risquait de me remarquer. C'était un miracle qu'il ne l'ait pas déjà fait. Il était tellement absorbé dans l'étude du tableau.

- Vous allez rester là encore combien de temps à m'espionner ?

Si je n'avais pas déjà été aussi immobile qu'une feuille de papier, je me serais figée. Sans se tourner vers moi, Monsieur Elias venait de m'envoyer ces mots d'une voix calme.

J'avalais la bile qui venait de se former dans le fond de la gorge.

- Je ne voulais pas vous déranger, répondis-je en avançant de quelques pas. Je m'apprêtais à continuer mon chemin.

De plus près, je pouvais enfin percevoir le tableau qu'il mettait tant de passion à regarder. C'était un énième portrait de lui enfant. J'avais remarqué que la demeure en était remplie de toute part. C'était toujours Monsieur Elias, au même jeune âge, assis sur une chaise ornementée. Si sa tenue et l'arrière-plan ne changeaient pas à chaque fois, ces tableaux auraient pu tous être identiques. Ma Dame devait grandement chérir son fils pour lui vouer une telle consécration.

Je me tournais vers Monsieur Elias et découvris avec étonnement qu'il me dévisageait à son tour. Ses yeux, toujours aussi déroutants, ne me lançaient pas d'éclairs comme la veille.

- Vous ne me dérangez pas, dit-il. Je devais m'entretenir avec vous de toute façon.

Surprise, je passais mes mains moites sur ma robe. Je détestais que sa taille et l'énergie qui se dégageait de lui me fasse sentir si intimidée. Pourtant, il se trouvait à plus d'un mètre de moi.

- À propos de quoi vouliez-vous me parler ?

Ma part d'esprit paranoïaque me souffla que c'était sûrement par rapport à ce que Ma Dame m'avait chargée de faire. Il allait me dire que jamais il ne me demanderait en mariage et prévenir sa mère de sa décision. Elle saura donc que ma mission est vouée d'avance à l'échec et nous chassera, ma tante et moi, dans les plus brefs délais.

- Je tenais à m'excuser, déclara-t-il de but en blanc.

Je tombais de haut. Ouvrant la bouche avec surprise et la refermant avec pudeur, je sentis mes joues se rosirent de gêne. Des excuses de sa part étaient la dernière chose à laquelle je m'attendais.

- Vous excuser ? Répétais-je, ahurie.

Il acquiesça en avançant vers moi. Plus il s'approchait, plus j'avais envie de déguerpir mais j'étais bien trop curieuse de ce qu'il allait me dire. Quand il fut assez proche de moi pour que je doive me dévisser le cou afin de le regarder, il s'exprima :

- Je vous ai mal jugée. Lors de notre rencontre, je vous ai insultée et malmenée en pensant que vous étiez ici pour des épousailles arrangées. Cependant, lorsque ma mère m'a finalement raconté la réelle raison de votre présence, j'ai compris à quel point j'avais tort. De plus, lors de l'incident d'hier, j'ai cru que vous étiez imprudente et n'aviez pas fait attention à la calèche qui vous fonçait dessus. C'est seulement après que vous soyez partie que j'ai appris que vous vous étiez retrouvée dans cette situation parce que vous aviez sauvé la vie d'une fillette.

La Nouvelle Vie d'OdianaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant