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26 DECEMBRE 2020

Refuge, New Haven, Connecticut

Willson ne met qu'un pied dans le hall que l'étonnement le saisit.

Il s'agit d'une large pièce, aux murs tachés de gouttelettes couleur rouille. La seule lumière qui descend depuis les hauteurs est ternie et troublée. Elle éclaire quelques poussières qui flottent dans l'air et teinte l'atmosphère avec un sentiment de nostalgie.

Mais ce qui attire l'œil de Willson, ce n'est ni les taches douteuses ni la lumière grisâtre. Ce sont trois éléments, tout aussi perturbant les uns que les autres : la cage d'escalier détruite qui mène aux étages et qui comporte quelques cadavres sur les marches encore existantes ; l'immense double cercle concentrique rouge peint sur le parquet défoncé par endroits ; et enfin une pièce dont les portes ont été arrachées, remplacées par des rideaux bleus d'hôpital, et qui a été remplie de jardinières.

— C'est notre potager, explique Eva en indiquant la pièce du fond. C'était l'ancien loge du gardien de l'immeuble. On ne pouvait pas mettre nos plantes dans l'humidité des caves.

— Comment vous avez trouvé ça ? s'étonne Tobi.

Bonne question de la part du minus. Je me déplace vers la salle pour mieux l'examiner mais une force m'immobilise.

Je me tourne vers Willson et n'en crois pas mes yeux. Les sourcils froncés, il tire sur notre lien pour m'empêcher de vagabonder. Depuis quand me considère-t-il comme un chien en laisse ?

La colère qui me submerge est forte. Je ne supporte pas que les rôles soient inversés. Je suis là pour le protéger : par conséquent, JE dois avoir une influence sur ses mouvements, pas le contraire.

Je sens mon énergie qui bouillonne en moi. Elle crépite presque autour de ma forme spectrale. Aussitôt, les néons horticoles se mettent à faiblir, créant des jeux d'ombres et de lumières sur les plants de tomates et de courgettes.

— Willson, grince Phoebe, arrête ton cirque.

Eva lève un sourcil, étonnée. Une grimace apparaît sur le visage de mon humain. Il évite magistralement le regard d'interrogation de sa belle et crache en retour :

— Ce n'est pas ma faute. J'essaie de le contrôler mais ça lui plaît pas.

L'albinos lève les yeux au ciel. Elle appuie sur un bouton du manche de son épée translucide et elle diminue de taille. À présent, elle est de la dimension d'un poignard. Phoebe la rengaine à sa ceinture.

— Faut bien que tu apprennes. Tu es un gardien, pas une bête de foire.

Ainsi, c'est elle qui lui a mis en tête de me mettre une laisse ? À quand la muselière ?

— Vous pouvez m'expliquer ? s'enquière Eva d'un œil soupçonneux.

Phoebe rit. Un son petit et assez narquois.

— Je crois que tu n'as pas besoin d'explications... Eva, c'est ça ?

Ce n'est pas que de la colère qui jaillit de l'albinos. C'est plus fort et plus complexe qu'une simple irritation. Plus comme un message caché qui réside dans ses mots.

— Phoebe, intervient Willson, laisse-la tranquille. Elle n'a pas à souffrir de ta mauvaise humeur !

Ces mots tombent comme un couperet. L'interpellée baisse les yeux et ferme sa bouche. Un peu surpris d'une telle victoire, Willson reste silencieux à son tour. Sa concentration vacille et je peux me libérer de sa laisse. Mais je n'ai plus aucune envie de jeter un œil aux plants. Une énigme bien plus intéressante se trouve sous mes yeux.

Presence - T1 : I'm HereOù les histoires vivent. Découvrez maintenant