~ ELEVEN ~

16 3 94
                                    

Cela fait un bon bout de temps que je n'ai pas mis les pieds ici... J'attends depuis une bonne demi-heure mon rendez-vous avec Sonia, mais apparemment elle a pas mal de retard... Je dois aller faire les courses et si possible, rendre visite à ma cousine Lorie. Je ne l'ai pas vue depuis l'épisode « Romain »... Tout à coup, comme pour me sortir de mes rêveries, la porte de la salle d'attente s'ouvre et laisse apparaître Sonia, qui - à son regard dénué d’une quelconque émotion, vient de recevoir un « cas ». En me voyant son visage s'illumine et je me sens respirer à nouveau, presque soulagée de la voir aller mieux. On se fait la bise en échangeant les formules de politesses devenues habituelles et elle me laisse entrer.

Aujourd'hui est un grand jour pour moi, car je me suis enfin décidée à lui parler de ce qui s'est passé dans la nuit du 2 au 3 janvier, le jour où j'avais mangé chez « Dodo ». Lors de notre dernier rendez-vous j'avais pensé à l'évoquer, mais on s'est éparpillées et au final on avait parlé de tout sauf de ça ! Puis après, j'ai été tellement occupée que je n'y ai pas vraiment repensé mais cette nuit, de drôles de souvenirs m'ont réveillée en sursaut, et depuis ça me tracasse...

Bien sûr je vais lui raconter mon séjour à l'hôpital suite à ma tentative de suicide, mais je veux qu'on trouve du temps pour parler de ça. Cette histoire me trotte dans la tête depuis trop longtemps... Je dévisage Sonia en observant chacun de ses traits me demandant comment un humain peut être en capacité d’en aider un autre à aller mieux, en sachant tout de sa vie tout en ayant comme devoir de rester professionnel et donc de ne pas trop s'impliquer. Comme si elle avait lu dans mes pensées, elle me dit :

- Haha, toi tu veux savoir ce qui s'est passé avec mon précédent patient je suppose ?

Je la regarde un peu gênée, et tente de m’expliquer.

- C’est pas ça, mais, enfin si… Peut-être. Je me disais simplement que vu l’état dans lequel tu sembles être, ce doit parfois être compliqué de gérer des situations de patients qui ont besoin d’aide plus que les autres… Enfin pas « plus » besoin hein mais euhh… Tu vois quoi.

- Hum, en effet, ce n’est pas toujours facile. Mais, comme pour tout je pense, c’est pour ça que j’ai fait des études. C’est pour être préparée, savoir quoi faire, quoi dire, ce genre de choses… Tous les patients sont différents mais au fond, nos maux viennent souvent du même endroit. Notre passé.

Ce mot me percute, comme s'il prenait du sens en moi, mais je n'arrive pas à m'expliquer pourquoi... Je réponds :

- Certes, mais ce patient que tu viens d’avoir par exemple doit être vraiment perdu. Il souffre beaucoup ?

- Eh bien… Je suis protégée par le secret médical Jo, donc désolée, mais je ne peux divulguer ce genre d’informations, tu t’en doutes !

Je lâche un bref soupir, plus par gêne que par agacement et reporte mon attention sur mon interlocutrice après avoir baladé mon regard dans la pièce. Sonia me regarde ensuite en fronçant les sourcils, comme contrariée, et me dit :

- Cela fait je ne sais combien de patients qui souffrent de dépression, reprend Sonia. C'est presque une épidémie cette année ! J'ai déjà dans le passé perdu des proches souffrant de cet état, et parfois, il est vraiment difficile de ne pas les « calquer » sur mes patients qui sont victimes des mêmes maux… Enfin, oublions ça. Nous vivons dans un monde merveilleux, n’est-ce pas ? Me dit-elle ironiquement, avec un léger hochement de tête, comme pour appuyer sur l’absurdité de la chose.

En effet, quel monde merveilleux… Après ce court échange pessimiste, nous commençons à discuter tranquillement. Sonia a bouclé la fin de sa mâtinée pour moi, étant donné que j’aurais dû la voir la semaine dernière. Elle me parle de sa rupture avec son mec, du pipi de chat à côté de la mienne, mais bon bref. Je l'écoute et esquisse un sourire en pensant au fait que c'est elle qui est sensée m'écouter et non l'inverse. Ce qui prouve que Sonia n'est pas que ma psy, c'est aussi mon amie. Et cette question de la relation professionnel-patient me revient une énième fois en tête. Comment faire pour rester à l’écart, tout en sachant tout ? Comment s’impliquer, tout en respectant une certaine privacité ? Quand son récit est terminé, vient sur la table le sujet de ma tentative, qui s'avère bien plus compliqué à évoquer que ce que je ne me l’étais imaginé…

REMEMBER... That nightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant