Chapitre n°2

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Les mois passèrent, mes cernes se creusèrent, mes larmes persistèrent et l'ignorance de mes camarades demeurât constante. Le directeur m'avait depuis mon retour, probablement à raison, forcée à consulter une psychologue afin de gérer mon traumatisme. Cela dit, les effets étaient quasi-inexistants puisque j'étais incapable de me confier à qui que ce soit. Le seul avantage de cette solitude était l'incroyable quantité de cours que je parvenais à suivre simultanément.

Un mardi soir, en traversant le campus enneigé, je croisais le directeur, il avait un air étrangement coupable que je ne lui avait jamais vu. Le battement de mon cœur s'accéléra immédiatement, la panique s'insinuant tel un poison dans mes veines. Je m'arrêtais brutalement, le corps tendu comme un arc et lui demandai sans détour:

- Que se passe-t-il ?

Il me répondit simplement en expirant comme si le poids du monde pesait sur ses épaules :

- Tu vas devoir retourner en France.

Avant de vous décrire la peur irrationnelle qui m'a saisi en cet instant, laissez-moi vous expliquer une chose. L'Académie se situe en Ecosse, dans la ville dont elle porte le nom. Je suis quant à moi française, ce sont donc les services secrets français qui m'ont retenue captive durant ces sept longs mois. Retourner dans mon pays natal assurerait de manière presque certaine que je sois faite prisonnière à nouveau. Alors que l'idée s'enracinait dans mon esprit et plantais ses griffes dans mon âme à jamais brisée, je courus de toutes mes forces vers le service de sécurité sans tenir compte de ma respiration de plus en plus saccadée. Une fois là-bas, je me précipitais dans mon bureau et consultais frénétiquement mon casier. Tous les membres du service en avaient un avec les dernières nouvelles, décisions, choses à faire etc... Je le parcouru du regard et compris ce qu'il se passait, ce qu'ils attendaient de moi. Dès cet instant, j'ai cédé la place à la panique. Je me suis laissée sombrer dans les ténèbres accueillantes, je ne respirais plus, mes jambes avaient cédé sous le poids de mon corps tremblant et ma vision était parsemée de points lumineux.

Après plusieurs dizaines de minutes, ils réussirent à me sortir de cet état de demi-conscience. Je restais quelques instants seule dans mon petit bureau, méditant sur les derniers événements. Une enfant avait été capturée, elle était soupçonnée de posséder des dons magiques. Elle avait dix ans, elle ne connaissait rien de ce monde, ne méritait pas de subir les atrocités dont j'avais été victime. C'est pour cela que le directeur avait l'air si coupable, il devait sauver cette petite fille comme il m'avait sauvée, mais il n'y avait qu'une seule solution pour faire cela : il fallait m'y envoyer, je connaissais le terrain comme personne et les sorcières qui m'avaient sauvée étaient mortes aujourd'hui, tuées par vengeance. C'est triste à dire, mais il savait comme moi qu'il valait mieux la sauver elle, une enfant encore intacte plutôt que moi, alors que j'étais déjà brisée à jamais. Cette enfant était encore innocente, insouciante. Elle était un écho de celle que j'étais avant tout ça, avant la mort et la souffrance. Je l'aiderais, de préférence sans échanger ma place avec la sienne. Néanmoins, étant donné qu'ils me surveillaient et me guettaient de toutes les manières possibles depuis ma fuite, ça risquait de s'avérer compliqué.

Après avoir pris le dossier d'Eliana, la petite fille captive, je le lus attentivement et sortis l'un de mes nombreux carnets. J'affectionnais celui-ci particulièrement, il était en cuir, décoré de motifs ésotériques et de dorures réalisées à la main. Je notais toutes les idées de plan que j'avais dedans, je réfléchis longuement aux méthodes que je pouvais employer pour m'infiltrer dans l'une des bases militaires les mieux gardées de France. Bien évidemment, c'est une activité extrascolaire tout à fait commune pour une jeune fille de dix-neuf ans! Pour ma défense, j'avais également des centres d'intérêts plus appropriés à ma tranche d'âge, mais je digresse. Après avoir rassemblé toutes mes idées sur le papier doux de mon carnet, je photocopiais les plus abouties et les déposais dans le casier commun à l'entrée avant d'aller me réfugier à la bibliothèque à présent vide. Bien sûr, c'était une sortie tout à fait autorisée par le règlement intérieur. Je m'endormis un livre à la main sur l'un des canapés de mon recoin favori. Je venais souvent m'y réfugier lorsque les cauchemars devenaient trop durs pour rester dans ma chambre. De ce petit canapé douillet je pouvais observer le large terrain autour de l'école, la baie vitrée me donnait une sensation de liberté retrouvée. L'odeur des livres anciens tout autour m'offrait une paix temporaire, la bibliothèque de l'établissement ressemblait à un espace hors du temps, doté de sa propre énergie. La magie de l'endroit m'enveloppait telle un manteau de velours, m'apaisant, me murmurant des mots magiques dans une langue si ancienne que je la comprenais sans l'avoir étudiée, berçant les éclats brisés de mon âme.

The tears we hideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant