Chapitre n°6

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Les élèves dont j'étais chargée n'échangeaient habituellement pas plus que les formules de politesse habituelles, ou de rapides discussions sur certains cours, et généralement ils n'avaient aucune envie d'engager la conversation. C'est précisément pour cette raison que je passais quelques secondes à me remettre de ma stupéfaction lorsque Céline me lança un timide mais enthousiaste :

- C'est la seule chose que tu fais pour le service de sécurité ? Accompagner les élèves hors de l'Académie ?

Rassemblant mes esprits je lui répondis, ma voix teintée de surprise :

- Non mais ça constitue environ un tiers de mon travail. Il y en a d'autres qui ne font que ça, et d'autres encore qui ne le font pas du tout. Ça dépend des compétences de chacun et de ses envies aussi.

Je m'attendais à la voir se désintéresser de la conversation à tout moment, elle ne faisait sûrement cela que pour être polie, mais cette fois encore j'avais tort. Sa voix prenant de l'assurance, elle me posa une seconde question :

- Et toi, qu'est-ce que tu fais d'autre pour le service ?

Je lui répondis, la surprise transparaissant toujours autant à travers ma voix:

- J'aide à entretenir les protections magiques et normales autour de l'Académie, j'analyse des informations qu'on reçoit pour adapter nos stratégies face aux gouvernements, je m'occupe de certains incidents de sécurité à l'Académie et je fais des plans et évaluations de risques pour des missions extérieures quand il y en a.

Elle se tut pendant un moment, ayant l'air pensif. Cela me laissa le temps de remettre de l'ordre dans mes idées et de lui demander :

- Je ne veux pas être impolie, mais pourquoi me fais-tu la conversation avec autant d'enthousiasme ? De tout mon temps ici, aucun élève n'a voulu me parler par pure sympathie, donc pourquoi ?

Ses yeux me fixait, mais son regard était voilé, ses pensées à des kilomètres de cette conversation. Je sondais son énergie sans m'introduire trop loin dans pensées et ses émotions et la découvrait incroyablement triste, se rappelant du passé. À quel sujet, je n'aurais pas su le dire, mais mon cœur se serra pour elle. Je sentis son énergie bouger, le chagrin disparut sous des couches de raison et de calme forcé. J'attendis, ne laissant aucunement paraître ma perception des couches superficielles de son aura. Lorsqu'elle reprit la parole, sa voix se fit plus sombre, plus mature :

- Mon grand-père s'est fait assassiné par des agents du gouvernement américain il y a quelques jours et... je ne sais pas... je voulais parler à quelqu'un qui savait ce c'était d'être confronté à ce genre de chose j'imagine.

La simple pensée qu'on puisse assassiner un vieillard fragile et sans défense me rendait malade. Bon d'accord, il n'était pas complètement sans défense mais tout de même, il restait fragile, malade, proche de la mort, il fallait être bien cruel pour voler les précieux derniers moments d'un homme avec ceux qu'il aime.

Aussi étrange que cela put paraître, savoir qu'elle vivait cela provoquait une légère baisse du profond sentiment de solitude qui m'accompagnait depuis cette fatale nuit. Je relevais une partie de mes boucliers psychiques, lui montrant ma compréhension et mon dégoût pour un acte aussi cruel et lâche. Je lui fit savoir que j'étais là, que je le serais toujours sans même user de mots à proprement parler.

Je pouvais sembler me désintéresser de tout le monde mais c'était une fausse impression, j'avais beaucoup de compassion, simplement, les autres avaient trop peur de savoir, de voir, mon aura était constamment dissimulée car au fond de celle-ci se cachaient mes cauchemars, les cicatrices invisibles que je portais sur mon âme. Ils ne s'ouvraient pas à moi, pas à cause de mon manque de sympathie, de compassion ou d'insouciance, à cause de ce qu'ils pourraient voir, comprendre. Ils voulaient profiter encore un peu de l'insouciance bienheureuse qui les habitaient, et je ne les en blâmaient pas.

Les auras, quand on savait les voir et quand on savait contrôler la sienne, possédaient un language qui leur était propre. Ce n'étaient pas des mots à proprement parler, plutôt des messages cryptés par des émotions.

Je me promis de lui parler à nouveau, de vraiment lui parler, c'était peut-être ma seule chance d'avoir une amie au sein du corps étudiant de l'académie, et c'était peut-être sa seule chance d'avoir quelqu'un qui la comprenne et qui la soutienne dans ce même corps étudiant. Autant ne pas la laisser passer.

The tears we hideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant