Après les révélations de ce jour maudit, j'avais dû repartir à l'Académie et reprendre le court normal de ma vie. Les préparatifs pour la mission me terrifiaient à chaque fois que j'y participais car ils rendaient l'échéance plus proche, plus réelle, plus concrète. C'est précisément pour cette raison que je fus ravie de la distraction que m'offrit le texto de Dorian. Celui-ci disait simplement de venir chez lui cette semaine.
Toute la joie que j'avais éprouvé à l'idée qu'il vienne vivre à Édimbourg fut alors retrouvée, je préparais mes affaires et filais vers le bureau du directeur. Avant même que j'ai pu toquer, je vis la porte s'entrouvrir devant mes yeux, je levais les yeux au ciel et entrais, je saluais le directeur et allait droit au but :
- Je dois partir une semaine, je viendrais en cours mais je ne dormirais pas ici et je n'étudierais pas ici non plus. Est-ce que ça pose problème ?
Une lueur d'amusement brillait dans ses yeux lorsqu'il me demanda :
- Et où vas-tu ?
Je plissais les yeux, trouvant son attitude étrange et répondis avec méfiance :
- Édimbourg, pourquoi ?
- Et chez qui ?
- Un ami.
L'amusement dans les yeux du directeur n'était plus une lueur mais un véritable feu d'artifice à présent, je compris pourquoi lorsqu'il m'interrogea innocemment :
- Et est-ce que cet ami s'appellerait Dorian Cunningham à tout hasard ? Peut-être que tu devrais laisser quelques affaires là-bas, vu le temps que tu vas y passer à partir de maintenant, tu ne penses pas ?
Mon humeur changea radicalement à la mention du temps que je pourrais passer avec Dorian, de joyeuse mais agacée, elle passa à désespérément triste. Je répondis doucement au vieil homme qui m'avait accueilli quand je n'avais nulle part où aller, me protégeant sans penser aux conséquences, me traitant comme son propre enfant :
- Nous savons tous les deux que cela ne sert pas à grand-chose vu le temps qu'il me reste.
Son visage se referma, l'amusement se retira complètement alors qu'il me regardait avec ces yeux si tristes. Il n'avait ce regard-là que lorsqu'il pensait à mon futur, comme si il se demandait si j'aurais un jour la paix à laquelle j'aspire. Pour être tout à fait honnête, je me posais également la question parfois. Sortant du bureau sans un mot de plus, lui adressant un sourire résigné avant de me retirer. J'avais accepté mon destin, je n'avais pas besoin de lire la prophétie, je savais. J'avais beau n'avoir aucun don particulier pour la divination, je savais jusque dans mes os que je mourrais lors de cette mission. Je l'avais accepté et, la plupart du temps, j'étais sereine, mais parfois, je n'avais qu'une envie, c'était de pleurer sur mon sort au fond de mes couettes, de m'enfuir et d'oublier.
J'avais pris l'un des taxis de l'Académie pour aller jusqu'à Édimbourg, m'arrêtant au passage pour acheter des pâtisseries dans ma boulangerie favorite, qui vendait des pâtisseries françaises. Après avoir lamentablement échoué lors de ma tentative de sieste, je laissais mes pensées dériver.
Dorian et moi étions dans une sorte de statu quo presque depuis que nous nous étions rencontrés. Lorsque je séjournais chez lui, mes affaires étaient toujours dans la chambre d'invités, même quand je n'y dormais pas, ce qui arrivait régulièrement. On se protégeait mutuellement, prenant soin l'un de l'autre sans jamais s'avouer pourquoi. Et ce n'étaient que deux exemples parmi tant d'autres.
Le taxi s'arrêta et je sortis, songeant au fait que nos affaires étaient dans la même chambre lorsque nous étions chez Céline.
Réalisant que je ne me rappelais plus à quel étage habitait Dorian, je touchais son esprit du mien, lui faisait savoir que j'étais perdue. Son exaspération amusée transpira à travers ses boucliers et je reçu un message sur mon téléphone m'indiquant qu'il était au troisième étage. J'entrais par la porte entrouverte à mon intention et souris sans retenue lorsque les bras de Dorian m'enlacèrent, je le serrais dans les miens en retour, posant ma tête sur son épaule. J'abandonnais enfin mes boucliers pour la première fois depuis ce qui me semblait une éternité. Comme je le suspectais, Dorian installa mes affaires dans sa chambre, celle-là même où je m'étais réveillée plus tôt en début de semaine, et bien sûr, je n'émis aucune objection.
Il n'était que dix-huit heures donc je récupérais mes affaires de cours et m'installais sur l'ilot de la cuisine, étudiant tout en échangeant quelques piques avec mon très cher hôte :
- Est-ce vraiment possible que tu aies encore quelque chose à faire ? Tu passes vingt heures par jour à étudier ! me nargua-t-il d'un ton mi amusé, mi désespéré.
Je répondis, de la malice dans les yeux :
- Tu sais très bien que je viens de sortir de cours, j'ai une dizaine de devoirs à rendre. D'ailleurs, pour ton information, je n'étudie que dix-huit heures par jour, il y a une différence notable.
Je m'attelais ensuite à mon travail, jonglant entre les rédactions, les exercices et les recherches plus poussée sur différents cours. Pendant ce temps, Dorian cuisinait le dîner, m'interdisant de voir quoi que ce soit. Une joie simple m'emplit à l'idée d'avoir un dîner surprise fait maison, mon cœur se radoucit à cette idée, émoussant ses bords habituellement tranchants. Le silence qui régnait était agréable, apaisant.
Je dû m'endormir aux alentours de vingt et une heures, au milieu de mes recherches facultatives pour un cours sur la théorie magique et le système des correspondances. C'était l'odeur alléchante des crevettes grillées qui m'avait réveillée et je devinais au regard amusé de Dorian que je portais toujours l'empreinte de mon livre sur le visage.
Rougissant, j'effaçais les dernières traces de sommeil de mes yeux et mis mes affaires de côté pour pouvoir reprendre le travail après dîner. Je me levais, étirant mes muscles endoloris par la position adoptée dans mon sommeil et allais m'installer sur le canapé, à côté de Dorian. Je l'enlaçais tendrement quand je vis le repas qu'il avait préparé: des crevettes grillées parce que j'adorais ça et qu'il n'y en avait que rarement à la cafétéria de l'Académie et que je n'avais jamais le temps d'en faire, et avec ça, des pommes de terre au four car il savait que mes deux grands-mères m'en faisaient autrefois. Nous dînâmes allègrement, discutant, riant, trouvant le bonheur qui réparait deux âmes brisées.
Après avoir débarrassé la table et rangé tout ce qu'il y avait, nous restâmes sur le canapé, repus et bienheureux. Je massais doucement les épaules de Dorian lorsqu'il prononça une phrase qui m'empêcha tout à coup d'effectuer le moindre mouvement:
- Tu ne feras pas cette mission
Reprenant mes esprits, et comprenant automatiquement ses motivations, je répondis immédiatement :
- Si, j'y vais. Tu oublies que je suis la seule qui sache me repérer dans cet endroit.
- Je peux la retrouver là-dedans sans ton aide ,insista-t-il.
J'avais assez d'estime pour les compétences et l'intelligence de Dorian pour être intriguée :
- Comment ça ? Comment pourrais-tu l'y retrouver, le bâtiment est complexe et tu n'y est jamais allé.
- Je peux voir à travers ses yeux, c'est un truc de frères et sœurs. Donc j'y vais.
J'y réfléchis sérieusement, sachant qu'il avait peut-être autant de chances que moi de retrouver la petite et trouvais finalement un compromis :
- Si tu me prouves que c'est vrai, on y va ensemble. Tu dois me montrer les images que tu voies à travers les yeux d'Eliana, je veux être sûre parce que tu serais tout à fait capable de me dire ça juste pour me protéger.
Levant les yeux au ciel, amusé par mes doutes, il me serra contre lui et me dit :
- Je ne te montrerais pas ce que je vois mais tu me fais confiance n'est-ce pas ?
Ne m'attendant pas à ce refus, je lui demandais suspicieusement :
- Pourquoi ne le ferais-tu pas ?
- Parce que les cauchemars sont amplement suffisants, inutile de te faire véritablement revivre ces horreurs, me répondit-il d'une voix douce et aimante.
Je tenais bon malgré la vulnérabilité visible que ces mots avaient provoqués en moi:
- Ça ira, mais ne me laisse pas seule dans cette vision, j'ai besoin d'un ancrage dans la réalité, de savoir que je n'y suis plus.
- Sûre ? me demanda-t-il d'une voix où son inquiétude perçait.
- Oui répondis-je après avoir pris une grande inspiration.
Sans un mot supplémentaire, il partit chercher ce qu'il lui fallait et se mit au travail tandis que j'ouvrais tous mes canaux psychiques à lui, lui permettant un accès optimal à mon esprit.
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The tears we hide
Paranormal"Alors, tu joues les gardes du corps maintenant ?" me demanda Dorian, un sourire moqueur dansant sur ses lèvres, très calmement, en poussant sa magie contre mes défenses. "Que pourrais-tu possiblement en avoir à faire ? La seule chose qui t'intéress...