Prologue

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Il monta deux par deux les quelques marches qui conduisaient au manoir, et poussa les portes imposantes de la bâtisse pour s'enfoncer à l'intérieur. Sa silhouette fluide parcourut divers couloirs, comme un automate et son pas s'accéléra lorsqu'il entendit des murmures lointains provenant de la salle principale.

Il s'engouffra dans une vaste pièce séparée par une demie-cloison. D'un côté, une quinzaine de chaises face à un large plan de travail agrémenté de miroirs, chacun doté de nombreux éclairages. De l'autre, plusieurs douches collées les unes aux autres, des casiers et des bancs. Il devait faire vite, les premières notes faisaient déjà écho. À l'intérieur de la salle, l'air était moite et chaud. Il essuya rapidement quelques gouttes de sueur qui perlaient sur son front, revêtit son costume de scène et lissa ses cheveux bruns en arrière. C'était toujours le même rituel à chaque représentation. Il était seul, les autres danseurs étaient déjà en train de se produire. Bientôt, ce serait à lui de faire son entrée. Il regarda une dernière fois son reflet dans le miroir et se dirigea vers les coulisses.

Sur scène, la chorégraphie s'enchaînait au rythme de la musique. Il scruta le public, toutes ces personnes affichant des sourires de satisfaction devant les prouesses de leurs progénitures. Il l'a reconnue instantanément. Elle était là, au dessus de tous, installée au balcon, comme à chaque fois.

Cette hauteur lui plaisait, elle se sentait légère et libre. Elle pouvait ainsi contempler les danseurs lui offrir un spectacle qui frôlait la perfection, tous en rythme, envahis par cette musique au tempo rapide, comme ensorcelés. Assise sur son siège, elle écoutait d'une oreille distraite les remontrances de ses parents en hochant la tête par intermittence, pour donner l'illusion qu'elle les entendait. C'étaient les mêmes discours à chaque fois, les mêmes sermons. Ils n'étaient jamais satisfaits et elle ne se sentait pas à sa place avec eux.

C'était d'ailleurs pour cela qu'elle avait décidé d'étudier à plusieurs kilomètres de chez elle, l'obligeant à vivre loin des siens. Elle avait construit une nouvelle vie et s'était fait de nouveaux amis. Elle ne se sentait pas mieux là-bas, mais n'était pas obligée de faire semblant d'être heureuse. Il n'y avait que pour lui qu'elle revenait aussi souvent qu'elle le pouvait, le reste de sa famille lui importait peu, seul lui comptait et il allait faire son entrée sur scène d'un instant à l'autre.

Il sentit son cœur s'emballer, à la fois heureux et paniqué qu'elle soit présente. Elle avait tenu sa promesse et était revenue. Il ne la voyait plus souvent, trop de distance les séparait, mais il pouvait la reconnaître au milieu d'une foule de personnes, percevoir l'intensité de son regard vert profond. Elle était venue de loin, il ne pouvait pas se permettre de la décevoir et répéta mentalement chaque pas qu'il devrait exécuter. Dans quelques secondes, il allait monter sur scène pour clore le spectacle, comme chaque année. Il prit une profonde inspiration et franchit la distance qui le séparait des spectateurs. La tension redescendit aussitôt, il pouvait enfin être lui.

Son arrivée stoppa net la discussion houleuse entre elle et ses parents. Elle se leva pour s'approcher davantage, afin de ne rien louper de sa prestation et s'accouda à la balustrade. Elle était émerveillée de le voir toujours plus beau, plus gracieux à chaque fois. Il semblait flotter dans les airs, ses pieds frôlant en mouvements aériens les lames du plancher tel un ange. Les pas s'enchaînaient avec une rapidité qui lui était propre, passant d'un style classique au plus moderne comme un pantin désarticulé. Il semblait possédé, son corps ne lui appartenait plus, chaque millimètre de peau était en vie.

Elle le contemplait avec douceur et admiration. Elle aurait aimé être comme lui, aussi passionnée, autant investie, mais elle n'avait jamais vraiment entrepris de grand projet dans sa vie. Elle se cherchait constamment, comme si sa place n'était pas là, qu'elle n'avait rien à faire dans cette famille. Elle contempla son visage qui transpirait la joie, ce regard rempli de bonheur la plongea quelques années en arrière.

Ils avaient six et huit ans et s'enthousiasmaient à l'idée d'ouvrir les cadeaux posés au pied de l'immense sapin. Ils l'avaient décoré ensemble, sans l'aide de leurs parents, dans des camaïeux de rouge et de vert qui rendaient le conifère festif. L'appartement entier dégageait la chaleur de Noël, plein de guirlandes, de bougies et de lampes clignotantes étaient dispersées dans les nombreuses pièces.

 L'appartement entier dégageait la chaleur de Noël, plein de guirlandes, de bougies et de lampes clignotantes étaient dispersées dans les nombreuses pièces

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Dehors, la neige tombait silencieusement, recouvrant le sol d'un épais tapis immaculé. Elle le revoyait, déchirant le papier dans une énergie qu'elle ne lui connaissait pas, et se rappela de son visage illuminé lorsqu'il découvrit les chaussons accompagnés d'un prospectus de la plus prestigieuse école de danse de la région.

Comment oublier sa détermination à vouloir prendre des cours, il ne parlait plus que de cela depuis qu'il avait vu « Dirty Dancing ». Il répétait à longueur de journée qu'il voulait devenir « PatrickSwayze ». C'était devenu une obsession. Dès les premières leçons, il avait étonné tout le monde avec sa grâce, et sa faculté à se mouvoir quel que soit le rythme qui lui était imposé. Au fil des années, il s'était attribué les mérites de tous les professeurs et pouvait passer du classique au hip hop avec une facilité déconcertante.

Elle aurait dû le haïr en voyant ses parents fascinés par leur fils alors qu'ils ne manquaient pas une occasion de la rabaisser. Mais c'était l'inverse, elle était fière d'être sa sœur et surtout heureuse de partager sa passion. Il prenait toujours sa défense lorsque ses parents lui faisaient une énième remarque et une réelle complicité les liait.

Aussi, ce fut un drame le jour où elle annonça qu'elle partait faire ses études ailleurs, loin, il y avait bientôt un an de cela maintenant. Il la supplia de rester mais ce n'était pas un choix réversible, sa décision était prise, elle ne pouvait pas continuer à faire semblant qu'elle était chez elle alors qu'elle se sentait si différente. Elle le consola en lui disant qu'à chaque fois qu'elle entendrait une mélodie, elle se souviendrait de toutes les fois où il l'avait empêchée de dormir à cause de la musique qui résonnait dans l'appartement. Elle lui promit surtout, de ne jamais manquer une seule de ses représentations.

Soudain, un bruit sourd la ramena au moment présent. Elle le chercha instinctivement.

Il se tenait sur l'estrade, immobile, l'air effrayé et paniqué. Un cri déchira la mélodie. Les spectateurs s'éparpillèrent dans une cacophonie assourdissante, tout n'était plus que confusion. C'était la fin, cette fois, il n'y aurait pas de révérence.

Danse pour moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant