La sorcière de Focalia

Chapitre 12_ La Sorcière et Le Nœud

" Voilà une chose que te permettra la magie : surpasser les épreuves de la vie. Y parvenir requiert une force d'âme que tu n'obtiendras pas sans labeur. C'est avant tout armer ton cœur de hargne et de métal, le placer au delà des faiblesses subjectives et façonner ton esprit dans l'objectivité. Autrement dit, tant que tu ne sauras barricader ton cœur et ton esprit et les protéger dans tout les sens du terme, ta magie ne te servira à rien" Floriande à sa fille.

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Quand Crysée descendit, elle était méconnaissable. Löy, qui avait ravivé le feu près duquel elle se réchauffait avec Chepsyre, se retourna et l'observa avec de grands yeux.

Elle était vêtue d'une tunique bleu sombre munie d'un enchevêtrement compliqué de ceintures et de baudriers et sur laquelle pendait une besace contenant des fioles de toutes les couleurs. Ses courts cheveux étaient rassemblés en un chignon assez stricte. Elle tenait son jō et sa flûte dans chaque main.

__ Prête ? dit-elle en faisant disparaître l'instrument dans une poche subtile.

Löy, obnubilée par la majesté que dégageait la sorcière, opina.

__ C'était la tenue que j'arborais à la citadelle, lui apprit Crysée. Bref : j'ai réussi à isoler la seule présence humaine probable dans le bois grâce à [Séparer]. Maintenant, il ne nous reste plus qu'à suivre cette piste jusqu'à notre cible. Alors encore une fois, es-tu prête ?

Lentement, Löy hocha la tête.

__Bien.

Crysée tourna les talons et se dirigea vers la porte. Löy s'empressa de se redresser pour la rejoindre. Au passage, elle saisit sa torche à la flamme protectrice et enfila ses gants et son écharpe. Sur le pas de la porte, le froid mordant leur obstrua l'odorat. Crysée, après un dernier regard pour la petite s'élança entre les arbres.

La course commença. Löy et Crysée arpentaient le bois, la peur au ventre, tandis que seul le flambeau les protégeait encore du gel, qu'il repoussait par vagues argentées. C'était passablement terrifiant, surtout que la jeune fille avait de plus en plus de mal à suivre Crysée qui se déplaçait incroyablement vite. Le givre s'accrochait aux pans de de ses vêtements avant de se dissiper sous les flammes surnaturelles mais suffisamment longtemps pour qu'elle ait l'impression de se faire mordre par un rongeur enragé. De plus, la torche semblait faiblir, si bien que Crysée dût freinée sa course, le temps de faire luir la rune de [Séparer] en lançant un sort qui dispersa le gel surnaturel. Du moins, momentanément. Elles reprirent leurs courses. Les arbres défilaient comme à bord d'un char lancé à toute allure, la forêt semblait un bois hanté et lugubre plongé dans le froid et la désolation. Et indéniablement, Löy commençait à prendre peur.

Enfin, Crysée s'arrêta. Emportée par son élan, Löy percuta son dos et recula en massant son nez rougi. La sorcière sortit précipitamment une fiole bleu bordé d'un ruban rouge qu'elle déboucha et avala d'une traite. Et sous le regard ahuri de Löy, elle passa son jō dans son dos, s'assit à même la neige et ferma les yeux.

Löy, trop abasourdie pour réagir, se retourna et brandit le flambeau comme une protection dérisoire contre le gel mortel. Elle ne comprenait pas pourquoi la sorcière s'amusait à s'asseoir au beau milieu de la forêt pour méditer. À son humble avis, ce n'était pas le moment. Elles s'étaient arrêtées à la lisière d'une clairière plus blanche que du kaolin et sinistrement vide. Le gel avait littéralement recouvert la surface. Löy fuguait son regard perturbé dans tout les sens, en proie à son inquiétude. Le gel charriait ses effluves comme la fumée d'un feu particulièrement avivé. Pour ne pas perdre la face, elle décida de focaliser son attention sur Crysée afin d'échapper à sa crise de panique.