Chapitre 4

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Comme je m'en doutais, le sol est encore recouvert de la poudre noire pour trouver des empreintes, qui n'a d'ailleurs servie à rien puisque les malfaiteurs portaient des gants, ainsi que d'un peu de sang de mes parents... Les policiers ne sont pas payés pour nettoyer derrière eux, mais l'assistante sociale m'avait affirmé qu'elle avait fait son possible pour nettoyer la maison, de façon à ce que je puisse revenir le cœur léger lorsque j'aurai atteint l'âge requis pour vivre seule. Vu l'état de la pièce, je doute sérieusement qu'elle ait fait son maximum. Je pense qu'elle avait beaucoup de travail et que je n'étais qu'une orpheline parmi tant d'autres, mais elle aurait pu me prévenir. En revanche, les murs ont été rincés car il ne reste plus une trace de sang, et même les traces de Nutella qu'Elisa et moi avions faites au mur un jour où nous prenions notre goûter ont disparu. La cuisine est toujours aussi sobrement décorée, telle une publicité Ikea, mais elle me plait toujours autant. La table, au milieu de la pièce, est le seul objet trahissant une attache familiale, car elle est en bois de chêne et porte sur les angles les marques reflétant son vieil âge. C'est l'une des seules choses que nous ont légué nos grands-parents maternels. Ils étaient tellement voués à leur Seigneur qu'ils ont donné tous leurs biens à une association. Je trouve cet acte honorable, mais un peu égoïstement, je l'admets, j'aurais préféré recevoir quelques billets.

Mes grands-parents paternels, eux, avaient tout liquidé en jouant au Poker. Mon grand-père était devenu accro un an après avoir épousé ma grand-mère, et avant de mourir, ils venaient de perdre leur maison, le seul bien qui leur restait. Nous n'avons donc pas compté sur un héritage quelconque, car ils n'auraient même pas pu nous offrir un verre d'eau.

Dans les placards, je ne trouve rien hormis quelques couverts en argent datant du mariage de mes parents. Les assiettes et les Tupperware sont toujours dans les placards, et le frigo ne fonctionne plus, puisque l'électricité a été coupée à mon départ.

Je quitte la pièce et me dirige vers le couloir menant à l'étage. Je monte les escaliers deux à deux et m'empresse d'aller dans la chambre de ma sœur. Tout est là, comme elle l'a laissé avant de partir sans jamais revenir, mais en passant la porte, je sens un terrible vide dans cette chambre où j'ai passé le plus clair de mon temps.

Je m'assoie sur son lit. Ça me rappelle tellement de lourds souvenirs que je décide de m'assoir sur sa chaise de bureau, probablement à l'endroit où elle se trouvait lorsque le carnage a commencé.

Elle était jolie ma sœur. Je voulais lui ressembler durant toute mon enfance, et à chaque fois que je le lui répétais cela, elle me disait de choisir un de ses rouges à lèvres, et elle me maquillait pour que je ressemble à une princesse. Je crois que j'avais la meilleure sœur au monde. Même quand j'étais triste, elle le savait, et il me suffisait de l'écouter pour me redonner le sourire.

Je ne sais pas ce qu'elle a ressenti avant de mourir, et je crois qu'elle n'a pas eu le temps de ressentir quoi que ce soit, mais si c'est le cas, je crois qu'elle pensait à tous les bons moments qu'on a passés toutes les deux. Me dire ça m'aide parfois à combler le vide qu'elle a laissé... Le soir, quand elle avait fini ses devoirs, elle venait dans ma chambre, s'asseyait sur mon lit, et me lisait deux pages de son journal intime. Elle voulait devenir écrivaine, et je crois qu'elle avait le talent requis, car chacune des lignes qu'elle lisait avec passion me transportait dans une autre dimension. Elle n'avait pas beaucoup d'amis au Lycée, mais elle préférait rester seule pour écrire. C'était plus qu'une passion, c'était sa raison de vivre.

Après sa mort, une seule de ses amies s'est renseignée pour savoir si j'allais bien, mais aucune n'est venue à son enterrement... D'ailleurs, personne n'est venu à l'enterrement de ma sœur, ni à l'enterrement de mes parents, hormis ces personnes bizarres. Je devrais les appeler les INNI : Individus en Noir Non Identifiés.

Je récupère le journal de ma sœur, et je vais dans ma chambre. Elle est en tout point semblable à celle que j'ai laissée il y a cinq ans, mais avec une couche de poussière très déplaisante à la surface de tout le mobilier. Je ne m'attarde pas, car je ne suis pas venue pour revoir ma chambre. Je suis venue chercher quelque chose pour m'aider à comprendre. Comprendre quoi, je ne sais pas, mais tout ce que je peux trouver d'intéressant est forcément dans le bureau de mes parents. Ils y passaient presque tous leurs week-ends et leurs soirées, les trois quarts du temps au téléphone, tantôt avec un client, tantôt avec le juge, et de leur vivant, on n'a jamais pu entrer, si ce n'est pour imprimer un exposé pour l'école. Je ne pense pas qu'ils avaient quelque chose à cacher, c'est pourquoi je n'éprouve pas particulièrement de scrupules à l'idée de fouiller un peu.

La police avait récupéré beaucoup de papiers à mes parents, mais elle n'avait rien pris dans le bureau, à ma connaissance, puisque je crois qu'ils ne se sont même pas donné la peine d'y pénétrer. Et puis, tous les papiers qu'ils avaient pris pour l'enquête, ils les ont rendus au notaire qui s'est chargé de l'exécution testamentaire, qui les a lui-même déposé dans la boîte aux lettres quelques jours plus tard. Je les ai aperçus tout à l'heure en rentrant, mais je doute qu'ils soient lisibles à cause de la pluie qu'ils ont enduré depuis tant d'années passées à croupir dans une boîte en métal.

Je rentre dans le bureau et...indescriptible. Un véritable champ de bataille. Il y a des papiers dans tous les coins, la lampe est renversée, la bibliothèque est sens dessus dessous, je ne comprends pas.

La police n'est pas venue dans cette pièce, probablement parce qu'un homme vêtu de noir de la tête aux pieds le leur a formellement interdit, mais quand même, une pièce dans cet état ne passe pas inaperçue ! Mon père avait un jour eu l'idée de placer un panneau « Buanderie » au-dessus de la porte, pour dissuader les curieux de fouiner dans son bureau. Je ne sais pas trop si c'était une idée de génie, ou alors quelque chose de totalement stupide... Il y a presque plus de chances pour qu'un invité entre dans une buanderie que dans un bureau ! Mais pour cela, faut-il encore avoir des invités. Or, personne ne venait jamais à la maison, à part une amie à moi, de temps à autre. Avec Elisa, on faisait parfois semblant de vouloir laver nos vêtements pour rentrer dans le bureau des parents, mais à chaque fois notre excuse « Zut, on avait oublié que la buanderie est au rez-de-chaussée » ne parvenait pas à les convaincre.

Mais je trouve ça étrange que la police n'ait pas fouillé chacune des pièces de la maison. Peu importe, puisque je suis là, je vais faire leur boulot !

Je rentre et je commence par regarder sur le bureau les papiers ayant survécu au cataclysme. J'essaie de lire le premier document : « Burger James Hott ». La difficulté que j'éprouve à lire les documents provient du manque de luminosité. Le bureau possède une unique fenêtre au plafond, et en levant la tête, je me rends compte qu'il fait presque nuit. Je regarde ma montre : il est 17h30... Je suis en retard d'une demi-heure pour mon cours de trapèze... Je n'ai pas vu le temps passer! Je ne prends pas de dossiers avec moi parce que je ne veux pas risquer d'en égarer. Je reviendrai mardi prochain. Maintenant que j'ai découvert ces choses sur la vie de mes parents, il faut que j'aille jusqu'au bout ! Je glisse le journal de ma sœur dans mon sac, je ferme la porte à clés et je file à mon cours. Il a lieu à vingt minutes de mon emplacement actuel et même en courant, je n'y arriverai pas avant 18 heures, et le cours se termine à 18h30.

Bon, je n'y vais pas. Je ne loupe presque jamais mes entrainements, mais là, je ne peux pas faire autrement... Olivia ne m'en voudra pas particulièrement d'avoir loupé une séance, car elle peut comprendre que je suis fatiguée, mais je vais devoir me justifier pour mon retour si tardif, alors que j'ai terminé à 15 heures.

Je dois donc inventer une excuse dans les plus brefs délais...

Ma vie est un roman policierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant