Chapitre 23

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Une semaine. Une semaine que je vis comme une prisonnière. A part quand ils viennent m'apporter mes repas (juste le déjeuner et le dîner, pas de petit-déjeuner, puisque d'après eux c'est pas si grave de ne pas se nourrir correctement) ou changer mon pansement du genou, je ne vois jamais Olivia et Thomas. Pourtant je les entends. Je crois qu'ils ont arrêté de se rendre au travail, parce que je ne suis jamais seule dans la maison.

Mais même si mes parents adoptifs sont dans la maison, ça ne change rien à ma solitude. Je reste dans ma chambre tout le temps, et je n'en sors que pour prendre une douche de cinq minutes le soir, accompagnée d'un lavage de dents express de deux minutes, et tout cela sous la surveillance d'Olivia. Prison. C'est le seul et unique mot qui décrit ma situation actuelle.

Bien évidemment, lorsque j'ai demandé à Thomas lors de ma dernière livraison de repas quand j'allais passer ma radio du genou, il m'a répondu que rien ne pressait, donc autant dire que je ne reverrai pas de rayons X de sitôt (oui, je sais qu'on ne voit pas les rayons X, c'est une façon de parler !).

Lorsqu'on n'a rien à faire, c'est fou comme le temps passe lentement. Chaque seconde semble durer des heures, et chaque heure semble durer des jours. A cet instant, je donnerais n'importe quoi pour être en cours de maths, même si ce sont les cours les plus ennuyeux du monde. J'aimerais tant voir Mme Strauss, entendre l'accent italien de Mme Lorenzi, profiter de la joie permanente qui émane de Chloé, et embrasser Clément sans que rien ne puisse nous interrompre. Travis aussi me manque. Même Matt me manque, alors que si on m'avait dit qu'un jour j'aurais envie de voir ce fou, je n'aurais pu me retenir de rire aux éclats.

Mais rire me semble un plaisir bien utopique à présent. Je broie de plus en plus du noir, je pleure au moins trois fois par jour, j'essaie de dormir pour ne penser à rien et oublier au passage ma douleur au genou, mais je fais pleins de cauchemars alors ça complique beaucoup les choses.

Quand je ne suis pas occupée à dormir ou à pleurer, j'essaie de lire, mais j'aurais déjà bientôt fait le tour de ma bibliothèque. Je commence donc à écrire, d'abord des petites nouvelles, puis des poèmes. Ce n'est pas fameux, voire même surement niais et absurde, mais je me sens mieux après avoir laissé couler l'encre sur le papier. La plupart de mes poèmes restent heureux, malgré mon état presque dépressif, et je pense que c'est l'une des seules choses qui me fait tenir en ce moment. Celui dont je suis la plus fière s'appelle Etoile de mer, que j'ai bien sûr dédié à Clément. Je n'aurai peut-être pas le courage de lui offrir, mais ça m'a vraiment fait plaisir de l'écrire :

Toujours l'esprit tourné vers toi

Ma passion ne cesse de me bruler

Mon cœur s'emballe dès que je te vois

Et ton amour illumine mes journées

A chaque instant tu es mon étoile

Scintillant dans un ciel chatoyant

Tu guides mes pas dans le néant

Et dans l'océan tu gonfles mes voiles

T'aimer à chaque instant

Oui je le veux

Partir dès maintenant

Oui c'est mon vœu

Dans tes yeux verts

Je vois la mer

Je suis ton océan

Avec toi jusqu'au firmament

Tu me fais rire, sourire, plaisir

Besoin de toi, envie de toi

Oui mon étoile,

Je n'ai d'yeux que pour toi

Alors prenons la mer, et vivons ce rêve étoilé.

Voilà à quoi se résume ma vie. Je me mets à pleurer. Encore.

J'en ai assez d'être enfermée, d'être coupée du monde, de n'avoir aucune liberté. Je finirai par mourir d'ennui si je ne meurs pas de septicémie, vu que plus personne ne s'occupe de désinfecter ma cicatrice au genou.

Alors que je plonge dans le désarroi, j'entends un bruit contre mes volets. Comme un objet qui se cogne dessus. Je l'entends encore deux fois, puis plus rien. J'entends tout à coup des voix. Je retiens ma respiration pour me concentrer sur le faible son qui me parvient du dehors.

Je reconnais les intonations de Clément et Chloé, mais je ne comprends rien à ce qu'ils disent. Je ne sais pas s'ils parlent ou s'ils crient, mais ce que je sais, c'est que je suis d'un seul coup comme transcendée, et j'ai un regain d'énergie extraordinaire. Je suis tellement excitée que je me lève et fais trois pas dans ma chambre, avant de ressentir une vive douleur au genou et de m'écrouler près de ma porte. Je m'apprête à me relever, lorsque j'entends par l'interstice entre le sol et le bas de ma porte les voix d'Olivia et Thomas. Je me rapproche donc de l'interstice, et je me concentre de nouveau pour entendre ce qu'il se passe hors de ma chambre.

J'entends alors le bruit de la porte d'entrée qui s'ouvre, et je perçois distinctement l'échange qui a lieu :

- Hé ! Qu'est-ce qui vous prend vous deux ? Vous voulez exploser nos fenêtres ou quoi ? s'exclame Olivia.

- Oh, pardon... On voulait voir Océane... On a voulu lui faire une petite blague... On ne pensait pas que ça vous dérangerait. Désolés... On a fait attention à ne pas viser vos fenêtres ! Mais du coup Océane est là ? dit Clément.

- Vous croyez qu'en vous comportant comme des sauvages, vous allez pouvoir voir Océane ? De toute façon, même si on voulait, on ne pourrait pas. Elle est partie pour un mois dans un centre de rééducation pour pouvoir remarcher correctement avec sa prothèse. Elle n'a pas de téléphone là-bas, alors vous ne pourrez pas la joindre. Vous pouvez laisser une lettre si vous voulez, pour qu'on lui apporte le weekend prochain. C'est dommage que vous ne soyez pas passés hier, on va la voir tous les samedis, alors on aurait pu lui apporter directement.

C'est Olivia qui a parlé. Décidément, elle a le mensonge encore plus spontané que moi ! Je n'arrive pas à croire qu'elle puisse mentir comme ça. En plus, elle a sorti son ton de mère inquiète pour sa fille, qui se soucie vraiment de son bien-être, et qui ne veut que son bonheur. Mais moi je reconnaitrais son hypocrisie entre mille. Ce n'est malheureusement pas le cas de Clément.

- Ah, d'accord. Mais on pourrait aller la voir nous aussi ! Elle est dans quel centre ? Chloé et moi pourrons y aller samedi prochain. Elle nous manque vraiment, vous savez. On était super inquiets de ne pas pouvoir la joindre cette semaine.

- C'est pas possible de la voir, seuls ses parents peuvent y aller. Aux dernières nouvelles, vous n'êtes ni son père, ni sa mère, répond Olivia.

Elle est allée trop loin. Cette ironie dévoile la colère qu'elle éprouve lorsqu'elle ment à quelqu'un qui pose trop de questions. Clément ne se démonte pas.

- Franchement, c'est nul. Mais je vais écrire un message. Maintenant. Vous avez du papier ?

- C'est pas le moment, rentrez chez vous, sérieusement, clame Olivia.

- Tiens, prends cette feuille et ce stylo, mais dépêche-toi, dit Thomas.

Thomas vient de s'opposer à Olivia. Il y a de l'eau dans le gaz. Je n'entends plus rien pendant plusieurs minutes. Pendant un moment, je crois que mes amis sont partis, mais j'entends finalement la voix de l'homme que j'aime :

- Voilà, je vous laisse ce mot. Donnez-le lui s'il-vous-plaît. J'aime votre fille. Même si je ne peux pas la voir pour l'instant, je vais lui écrire.

- Ok. Bonne soirée, dit sèchement ma mère adoptive.

Je ne peux m'empêcher de lâcher un cri. J'aurais dû le faire plus tôt, mais j'étais absorbée par la discussion. Je hurle. Je hurle le prénom de mon copain, et celui de ma meilleure amie. J'entends un cri en bas. C'est Clément. Puis la porte d'entrée claque, et je n'entends plus rien.

Je m'écarte lentement, parce que je sais ce qu'il va se passer. Je comprends tout. Enfin, presque tout. 

Ma vie est un roman policierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant