Chapitre 9

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Cela fait déjà plus d'une semaine que j'ai pris la décision de faire un double des clés de mon ancienne maison. C'est donc plus que motivée que je me dirige vers le magasin qui s'occupe de ce genre de choses. J'arrive vers l'homme, qui selon moi ressemble plus à un cow-boy qu'à un vendeur de clés, et je lui présente la clé que je souhaite faire refaire. Je ne me doutais pas un instant de ce qu'il allait me répondre...

- Ma p'tite, cette clé j'peux pas la refaire sans le code de sécurité !

De un, je ne suis pas sa «p'tite », mais bon je me garde de le lui faire remarquer. De deux, c'est quoi cette histoire de code ?

- C'est quoi ce code dont vous avez besoin ? Ce sont les clés de ma maison, j'ai bien le droit d'en faire un double ! lui réponds-je, d'une voix que j'espère assurée, mais qui en réalité trahit mon état de stress à ce moment-là.

- La marque de ta clé possède une sécurité, qui consiste à délivrer un code par serrure aux propriétaires, afin que quelqu'un qui ait eu accès à leurs clés ne puisse pas les reproduire en toute légalité. Malheureusement, si tu ne possèdes pas ce code, je vais devoir refuser de te faire un double, même si tu m'as l'air d'être une honnête jeune fille.

L'homme a l'air sincèrement désolé pour moi, mais je ne peux m'empêcher de laisser éclater ma colère.

- Encore heureux que j'ai l'air d'une gentille jeune fille, étant donné que ce sont MES clés, et que je n'ai aucune raison de les avoir volées à qui que ce soit ! Et comment je suis censée trouver ce fichu code que seuls possédaient mes parents, alors qu'ils sont tous les deux morts ?!?

Sur ces mots, je quitte la boutique du cow-boy, et je me dirige au pas de course vers un petit parc à proximité du centre commercial contenant le magasin que je viens de fuir, afin de laisser couler les larmes qui me montent aux yeux. Rien ne s'est passé comme prévu, et je suis tellement abattue par cet événement inattendu que je suis à deux doigts de tout laisser tomber, lorsque je vois l'homme de la boutique de clés s'approcher de moi. Je suis tentée de partir, mais quelque chose en moi m'en empêche, et je reste assise sur mon banc en attendant qu'il arrive à mon niveau. Lorsqu'il s'assoit à mes côtés, je ressens pendant quelques secondes une sensation de malaise, qui disparait dès que l'homme prend la parole :

- Ecoute ma p'tite... Euh pardon... Ecoutez Mademoiselle, je ne suis pas en mesure de reproduire votre clé, pour des raisons tout à fait pratiques. En ce qui me concerne, j'aurais volontiers reproduit votre clé si j'en avais eu les moyens. Malheureusement, le code associé à cette clé est absolument nécessaire à sa reproduction. Mais, même si je ne peux pas refaire votre clé, je peux vous aider à retrouver le code. Il suffit de contacter la marque de la clé, en l'occurrence Fichot, et de leur demander la procédure à suivre pour récupérer votre code. Vos parents étant décédés... J'en suis navré... Le code a obligatoirement été transmis à un notaire, ou à votre famille, dans le cas où vous voudriez revivre dans votre ancienne maison.

- Comment savez-vous qu'il s'agit des clés de mon ancienne maison ?

- Eh bien, à te regarder, je devine que tu n'es pas en âge de vivre seule, sans parents pour veiller sur toi. De plus, comme tu viens seule pour refaire cette clé et que c'est si important pour toi, je suppose que tes responsables légaux actuels ne tiennent pas à ce que tu aies un double de ces clés.

Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai confiance en cet homme. C'est donc tout naturellement que je lui dis ceci :

- En réalité, j'ai été adoptée il y a cinq ans, et mes parents adoptifs ne savent pas que j'ai mis la main sur les clés de mon ancienne maison... Je pense que c'est à eux que le code a été transmis, mais je ne veux pas qu'ils sachent que je veux faire un double des clés, alors je ne peux pas le leur demander... Surtout que ce double est là pour me permettre de me rendre dans mon ancienne maison à ma guise, sans qu'ils remarquent que leurs clés ont disparu.

L'homme me regarde ensuite pendant une minute, sans rien dire. Puis, contre toute attente, il me dit :

- Je sais ce qu'on va faire.

D'abord, le « on » me surprend, parce que je mène une mission solo, et je n'ai pas besoin d'acolyte. Mais tout compte fait, je pense qu'il faut toujours avoir un allié lorsqu'on défend une cause, et je crois que j'ai bien besoin d'un peu de soutien.

- Mais vous venez de me dire que même si vous le vouliez, vous ne pourriez pas accéder à ma requête, alors...

- Je ne peux, en effet, pas accéder à ta requête, me coupe-t-il. Mais je te rappelle que je fabrique des clés, alors, si tu me confirmes que ta famille d'accueil ne se sert pas de tes clés, je n'ai qu'à fabriquer un faux double, pour qu'ils croient que les clés de ton ancienne maison sont toujours en leur possession !

Brillant. Je n'y avais même pas pensé, et pourtant, c'est la solution la plus évidente. Effectivement, Olivia et Thomas n'ont strictement aucune raison de se rendre dans mon ancienne demeure, donc ils n'ont par conséquent aucune raison de remarquer que les clés qui se trouvent dans les affaires d'Olivia sont des fausses !

Je suis donc Travis (oui, après avoir passé du temps sur mon banc, nous avons fini par nous présenter l'un à l'autre) jusqu'à son magasin, qu'il a laissé entre les mains d'un stagiaire débutant qui, heureusement pour lui, n'a eu à gérer qu'un seul client depuis l'absence de son patron, et ce dernier commence à étudier ma clé, afin de concevoir le modèle le plus ressemblant possible. Après vingt minutes d'attente insoutenable, il me tend la clé, ainsi qu'un petit porte-clés argenté avec mon prénom gravé dessus.

- Tiens, voilà la plus belle clé que j'ai jamais créée ! dit-il en rigolant. Quant au porte-clés, il est pour toi. Comme ça, tu ne risques pas de mélanger les deux trousseaux.

- Merci beaucoup Travis, mais vous savez, ce n'était pas la peine de me fabriquer un porte-clés sur mesure, d'autant plus que je ne suis pas venue avec beaucoup d'argent...

- Océane, il n'est pas question que tu me paies. J'ai toujours voulu avoir une fille, aussi brillante et souriante que toi. Mais je n'ai jamais pu connaître le bonheur d'avoir un enfant, car mon ex-femme était stérile, et je n'ai depuis jamais retrouvé de femme avec qui je veuille finir ma vie.

- Oh, je suis désolée pour vous...

- Mais non ! Ne le sois pas ! J'aime la vie que je mène, sans prise de tête, sans enfant, et sans attache. Le jour où je trouverai l'amour, si un jour je le trouve, je serai surement ravi de fonder une famille, mais pour l'instant, je suis heureux comme ça. Mais cela ne m'empêche pas de vouloir être généreux avec des enfants ou adolescents qui ont besoin d'aide, comme toi aujourd'hui. J'ai passé un super moment avec toi, et cela me fait énormément plaisir de t'offrir ce porte-clés. Alors, je n'ai plus qu'à te dire bonne chance pour tes projets, et merci d'être venue dans ma boutique !

Je crois que je vais pleurer. Ah non, en fait, je pleure. Les paroles de Travis me remplissent à la fois de joie, mais aussi de tristesse. Au fond de moi, je ressens en lui un instinct paternel, cet instinct qui manque parfois à Thomas, et qui, chez Travis, me procure une sensation d'apaisement. Sans réfléchir, je passe donc de l'autre côté du comptoir du magasin, et je serre Travis dans mes bras. Il n'y a rien de malsain dans ce câlin, au contraire. Il n'y a que de l'amour paternel, et du réconfort. Lorsque je m'écarte de lui, je vois qu'il sourit et qu'il a les larmes aux yeux. Je lui dis alors : « Merci Travis, je vous promets que je reviendrai vous voir lorsque j'en aurai enfin fini avec mon histoire compliquée. A bientôt ! ». Sur ce, je quitte le centre commercial, et je rentre chez ma famille d'accueil, tout en accrochant précautionneusement mon porte-clés à la clé de mon ancienne maison. J'ai alors un sentiment de plénitude au fond de mon cœur, et je sens que cette petite clé entre mes mains est littéralement la clé de la vérité.

Ma vie est un roman policierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant