Chapitre 5

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Zilpa

On me bâillonne. On me ficelle. On m'attache.

Je peux à peine bouger un orteil. Le sang bat sourdement dans mes veines. Mes yeux essaient de voir une porte de sortie, mais il y a un épais rideau qui encadre tout le lit sur lequel on m'a mise.

Pas moyen de m'échapper.

J'ai envie de rire de la situation.

Dire que petite, plantée dans la boue jusqu'aux genoux, enracinée dans la misère, je tournais la tête vers les palais rêvant d'échanger ma place contre le petit prince.

Je l'imaginais là-haut, courir les jambes légères avec des vêtements propres sur le dos, s'amuser avec les autres Septriens bénis de naissance.

Tandis que moi, j'étais maudite dès mon premier jour. Ma vie ficelée d'un bout à l'autre et ne tenant qu'à un fil. M'enterrant de seconde en seconde vers une mort de plus en plus bienvenue.

Baissant la tête, je commence à ployer sous le poids de l'injustice. Des larmes salées me brûlent les joues alors qu'elles coulent une à une, sans bruit. Je les laisse tomber, n'ayant plus aucune force de les retenir.

Mes blessures se sont rouvertes et laissent des traînées piquantes là où le sang coule et se durcit.

Je ne sais combien de temps s'est écoulé, car lorsque je reprends mes esprits, la moitié des torches se sont éteintes, baignant l'endroit d'une douce ombre cuivrée.

Et une silhouette masculine se tient silencieusement derrière le rideau.

Ma poitrine se redresse, comprimée d'un cœur palpitant et effrayé. Depuis quand est-il là ? La gêne m'envahit à l'idée qu'il ait assisté à mes larmes. Personne ne m'avait jamais vu pleurer depuis des années. C'était un luxe que je ne m'autorisais plus.

Surtout devant l'être qui m'a humilié plus tôt dans la soirée.

Une main sépare le tissu dévoilant le jeune émir de Septorä.

Dans la lumière orangée, sa peau paraît encore plus sombre et lisse, comme forgée dans la pierre même. Tout son corps respire la bonne santé et la force d'un être qui se nourrit des meilleures choses. Aucune ride ne figure sur son front, ni autour de ses yeux clairs, comme s'il n'avait jamais connu de préoccupations.

Son insouciance se lit dans la douceur de ses traits, pourtant ces derniers retiennent l'attention. Demandent à s'attarder. Appellent aux caresses. J'ai cette même sensation devant une peinture qui vient juste d'être peinte, ses couleurs encore pleines de vie, dont on ose toucher par peur de brouiller la toile, mais que la curiosité appelle à sentir du bout des doigts.

Pour s'imprégner de sa mortalité avant qu'elle ne devienne impénétrable.

Je me retrouve devant cet homme avec lequel je rêvais d'échanger ma place avec un sentiment d'interdit.

Comme si ce n'était pas permis.

Nous voilà. Dans ce même palais. Face à face.

Ce petit prince et moi avons bien grandi depuis. Nous avons beau être à quelques centimètres l'un de l'autre, la distance n'a jamais été aussi grande.

Je me demande ce que ça fait d'être l'un pour des milliers et s'il sait ce que ça fait d'être l'une parmi des milliers.

Il avance vers le lit et s'arrête au bord pour me regarder de toute sa hauteur, baissant des yeux étrangers sur ma personne.

En présence du danger proche, ma peau se durcit comme pour former une carapace impénétrable. Mon corps étant ma seule défense. Je retiens mon souffle, attentif au moindre prochain mouvement.

À Ta PlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant