Chapitre 13

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Zilpa

Au sommet d'une colline, à la recherche d'un point d'eau, j'entends soudainement un grand cri de rage qui se propage dans tout le désert. Le ciel se colore d'un violet sombre et des vents soufflent puissamment, me faisant perdre l'équilibre.

Je chute dans un fossé et escalade à nouveau la dune pour éviter les rafales qui soulèvent d'énorme quantité de sable. Mes genoux sont déjà ensevelis. Soulevant mon sac à hauteur de mon visage, je me protège les yeux. J'ai l'impression de marcher à l'aveugle, car je ne peux que regarder en contrebas. Un pas après l'autre, le corps courbé en avant, les grains de sable me blessent les oreilles.

Une fois là-haut, je me décompose en voyant le mur de nuages de poussières qui s'élève sur des kilomètres. Il gonfle et avance vers moi, me défiant d'aller à son encontre. Le même cri de colère retentit et je vois, au centre d'une crevasse, une silhouette accompagné d'un cheval.

Je crois halluciner alors que le soleil disparait dans la brume crépusculaire.

Un homme est prostré sur le sable chaud. De lui, des ondes se propagent, faisant onduler le sable par vagues, ébranlant les dunes qui changent de formes, faisant plier les arbres. Ses hurlements de douleur font grandir la tempête de sable.

Je n'en crois pas mes yeux ainsi que mes oreilles. La puissance de sa voix provoque le cataclysme qui va s'abattre sur nous. Et il n'en a pas l'air conscient.

Jurant, je me mets à courir vers lui.

— Arrête !je m'époumone.

Mes jambes faiblissent et je me laisse chuter pour atteindre plus rapidement un terrain plus plat. Dès que j'atteins un point dur, je pousse sur mes talons et me dépêche d'atteindre l'individu, encore trop loin. Son cheval s'est couché sur son flanc, voulant protéger son cavalier en créant un contrevent avec son propre corps.

Pendant un instant, je me demande si je ne vais pas me faire rattraper par la muraille de sable et quelle folie m'a prise pour ne pas m'être enfuie. Plus je m'approche et plus les bourrasques sont violentes. Elles me frappent le corps jusqu'à plaquer ma peau contre mon squelette.

J'en serre les dents jusqu'à sentir un filet de sang couler à la commissure de mes lèvres. J'avance difficilement alors qu'un tourbillon se forme près de moi. Tout se teint d'une couleur ocre et laiteuse. Chaque mouvement que je fais semble être au ralenti alors que je tends un bras, ouvrant ma paume toute entière pour la poser sur ce dos.

Quand je sens mes doigts le toucher, je l'agrippe pour m'accrocher à lui. Il a arrêté de crier, mais c'est trop tard. La nature est en chemin et plus rien ne peut l'arrêter. Alors que je le retourne, il n'oppose aucune résistance et s'effondre même sur le côté.

Il s'est évanoui.

Les yeux fermés, je le reconnaîtrais entre tous.

Loin de l'image du prince qu'il m'avait montré la dernière fois, il est sale et en sueur, les cheveux blanchis par les débris du désert. Quiconque le croise ne pourrait jurer qu'il s'agit là d'un noble de la plus haute lignée avec son apparence si modeste.

Que fait-il ici ? Que s'est-il passé pour qu'un prince s'exile dans l'endroit le plus aride du monde ? Un simple coup d'œil à lui et sa monture me suffit pour comprendre qu'il n'a rien apporté pour sa survie. L'a-t-on chassé ?

Passant ma main sur son front et ses pommettes, je constate qu'il est brûlant de fièvre.

— Laissez-moi mourir...

J'ai une brusque inspiration à ses paroles. Il est en plein délire.

Tout s'obscurcit autour de nous. Ça y est. Il ne reste plus de temps.

Je prends mon sac, sors ma couverture et nous couvre tous les deux afin de nous créer un abri. Elle est suffisamment grande pour envelopper la tête du cheval qui vient se réfugier en dessous. Je lui caresse son museau qui souffle fort.

À Midria, les tempêtes sont courantes. Nous avons appris à y faire face malgré nos habitations fragiles. Je me souviens m'être endormie de fatigue et me réveiller le lendemain la moitié de mon corps enterrée dans le sable. Comme si une montagne s'était avancée pour se présenter jusque dans nos maisons. Il est même arrivé que notre porte d'entrée soit bouchée et qu'il ait fallu creuser soigneusement pour créer un chemin. Chaque coup de pelle résonnait comme la dernière et c'était l'agonie jusqu'à la trouée de lumière.

La nature n'a jamais été clémente envers les midriens, comme si elle les mettait sans cesse à l'épreuve. Seuls les septriens étaient épargnés par ses durs caprices en bâtissant en hauteur. J'ai toujours trouvé ça profondément injuste car, depuis le début ils se sont assurés de nous mettre plus bas que terre.

Des particules de sable volettent à l'intérieur de la tente qui se fait secouer de tous les côtés. Je crains qu'à chaque bourrasque, on s'envole.

J'ignore combien de temps ça dure, mais ça ne semble jamais se calmer. Le prince gémit dans son sommeil et paraît souffrant, tourmenté. Je ne peux que lui donner à boire pour tenter d'apaiser sa fièvre. Ses mains crispées sont parcourues de spasmes. Il lutte contre quelque chose. Une bataille intérieure dans laquelle je ne peux intervenir.

Puis vient la nuit.

De glace.

Le prince se recroqueville de plus en plus. Il tremble de froid. Son corps est à sa limite. S'adapter aux températures diamétralement opposées en si peu de temps est très éprouvant. Pour l'aider, je le fais rouler jusqu'au flanc du cheval, source de chaleur.

Au-dehors, la tempête s'est lassée et ne souffle que par intermittence.

Je n'arrive pas à fermer l'œil, me rongeant les sangs sur cette nouvelle situation.

Avec un temps pareil, les gardes ne se risqueront pas à renouveler les recherches. Or, j'ai un prince à mes côtés. Cela peut changer la donne si je le prends en otage pour négocier ma liberté.

Peut-être a-t-il payé la faute pour m'avoir laissé partir ?

Je ressens toujours de l'animosité envers cet homme. Je ne vois en lui qu'un enfant gâté qui a longuement profité sur le dos de milliers d'esclaves. Il ne connaît pas la valeur d'une simple vie.

Il suffirait que je lui vole son cheval et le laisse pour mort.

Je frissonne en me revoyant tuer ce garde d'un coup à la tête. Son corps tombant lourdement sur le sol. La traînée de sang qui s'est ensuivi. Une traînée qui devient rivière dans mes cauchemars. Une vision d'horreur qui m'arrache de cette pensée.

Non, je ne tuerai plus à nouveau. Pas, si je peux l'éviter.

Le prince est bien mal en point. Comment expliquer son pauvre accoutrement ? Je l'entends gémir fortement et ça m'alerte sur son état. En posant une main sur son épaule, je constate qu'il ne réchauffe pas de ce côté-là. Sa respiration est faible.

Pas le choix.

Je me glisse derrière lui.

Je le sens se raidir alors que je le serre contre moi. Son dos est large et je peine à en faire le tour avec mon bras. C'est la seule manière que je trouve pour se rapprocher. Sous ma paume : les battements de son cœur. Tant qu'il bat, il survivra.

La chaleur qui émerge de nos peaux nues réveille son instinct de survie.

Il se retourne et enfouit son visage dans mon cou qui brûle.

Et murmure un mot qu'il n'a jamais prononcé.

— Merci.


***

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