À Ta Place

Chapitre 11

— Par Ziros, Aara, Idite, Gades, Kalella...

Le grand prêtre Hamul dispose de ses concoctions sur sa table ovale. Il en fait le cercle et prend des pincées de chaque élément tout en citant le nom des anciens dieux de Septorä.

Sa gorge le fait souffrir à force de creuser dans ses cordes vocales pour la rendre plus rauque. Sa lèvre supérieure se relève avec une aigreur. Depuis que le petit Illégitime, comme il le surnomme tout bas, s'est amusé avec son breuvage du soir à son insu, sa voix s'était consumée et ne sortait désormais qu'un son frêle.

Pour un Archippe, cette humiliation l'avait suivi durant des années. Hakan s'en moquait quelques fois avec le même détachement de ceux qui oublient d'être concerné principalement par le méfait.

Il ouvre sa paume au-dessus d'une coupelle en or fumante. Les poudres se mélangent entre elles pour prendre une couleur blanche.

Hamul plonge son doigt pour faire tournoyer le liquide. La brûlure ne lui fait plus aucun effet. Il en a dépassé la sensation, il y a déjà maintes lunes. Dans un murmure, il invoque son pouvoir de grand guérisseur.

— Par la Flamme Blanche et le Roc Ardent, que la reine puisse avoir le repos qu'elle mérite.

Il dispose de la coupole fumante sur un plateau et fait signe à ses disciples agenouillés.

— Suivez-moi jusqu'à l'appartement de l'Osnée.

Les jeunes Septriens se relèvent d'un seul homme. Le premier à soulever la coupe montre un tremblement dans les paupières. Ils marchent d'un pas lent et calculé derrière Hamul. Ses paumes qui maintiennent l'objet à hauteur de poitrine rougissent à vue d'œil. Une larme de douleur coule sur sa joue.

En aucun cas, il ne doit la laisser tomber.

Dans un cortège silencieux, les disciples se passent la coupe dès qu'ils ont atteint leurs limites. Les mains brûlées, tête baissée, ils cèdent leur place pour aller en fin de la queue. Et ceci, jusqu'à ce qu'ils dépassent la sensation du feu sur leur chair humaine.

Devant l'entrée de la chambre, Hamul se retourne pour réclamer le récipient à deux mains. Une servante vient lui ouvrir.

— L'Osnée vous attend depuis sa couche.

L'Archippe entre pour se diriger vers sa reine malade. Non, mélancolique, se corrige-t-il en son for intérieur après lui avoir jeté un bref regard. Les yeux larmoyants, elle a le visage tourné vers les jardins du palais qui cascadent dans un escalier descendant jusqu'au fleuve en contrebas. Ses cheveux noirs au naturel reposent sur son épaule droite, et son visage à nu et rougissant semble avoir été mis à l'épreuve par une vallée de larmes.

— Dites-moi ce qu'il vous arrive, votre majesté.

La régente mère souffle prudemment entre ses lèvres, comme pour contenir un sanglot remontant dans sa gorge.

— J'ai une faveur à vous demander. Ou plutôt deux.

— Quelle est la première ?

— De ne pas informer mon époux de la seconde.

Hamul se raidit face à une telle demande.

— Pourquoi garder l'Asna dans l'obscurité ? Le Soleil de Septorä ne peut se tenir dans aucune ombre. Lui-seul en est la source.

Cyrène plante son regard dans l'Archippe.

— Pourtant, lors de l'Aube Rouge qui a éteint le jour sur nous ?

Elyon...

La haine, bouffée de chaleur, emplit son torse. Il se souvient de ce matin-là quand il est apparu. Silhouette nimbée d'argent aussi grande et solide qu'une colonne, brillant sur les silhouettes prosternées. L'Archippe avait perdu toute sa contenance, dans un mélange d'effroi et d'impuissance. Il s'était senti aspiré dans un immense trou noir.