Chapitre 14

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Hakan

Le glatissement haut perché d'un faucon m'extirpe du trou noir de ma conscience. Le crâne lourd et les tempes dures, je dois faire des efforts pour lever mes paupières.

Je redresse la nuque pour y voir plus clair et ce faisant, ma joue frôle une autre joue. Désorienté, je fixe la femme endormie sous moi. Je crois rêver alors que je reconnais la captive. La surprise fait battre mon cœur trop fort, trop vite.

Nos membres entremêlés, j'ignore qui de nous deux coince le plus l'autre. Son dos repose sur mon bras gauche et sa jambe se retrouve entre les miennes, et il m'est impossible de me retirer sans la réveiller à coup sûr.

Alors, j'attends dans l'obscurité. Essayant de reconstituer les indices autour de moi.

Nous sommes sous ce qui m'apparaît être une tente improvisée. Le cheval est réveillé lui aussi et souffle ses naseaux vers moi. Je peux tendre ma main et gratter ses oreilles.

— Brave bête, je lui murmure.

Puis tout me revient en fragments violents. Ma mère qui m'appelle alors que je lui tourne le dos. L'écho de sa détresse rebondissant dans les ténèbres. Ma fuite précipitée dans le désert et partout où j'allais, je n'ai trouvé qu'écœurement.

La tempête.

Puis.

Elle.

Ses mains dans mon dos, tirant une couverture sur nous, pour me protéger. Ses bras me serrant pour me réchauffer.

Un changement dans sa respiration m'indique qu'elle est réveillée. Je plante mes yeux dans les siens. Le silence entre nous est assourdissant, lourd d'un différent irrésolu. Avec un soupir, je prends la parole.

— Tu aurais dû me laisser mourir.

Son visage reste inexpressif comme si je lui avais annoncé que c'est le jour. Ce qui est le cas. À l'horizon, les braises du soleil rougeoient, en ébullition, comme les prémisses d'un incendie, faisant reculer la couverture glacée de la nuit.

En deux mouvements, elle se soulève pour rompre le contact entre nos corps et sort de la tente, en furie. Dos au flanc du cheval, je pose ma tête contre sa crinière aux reflets miel.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?je lui demande et son oreille se dresse à ma voix. Tu ne connais que le chemin du retour, mais je ne peux pas revenir.

— Il ne peut pas te répondre, c'est un cheval, dit une voix à l'extérieur.

Je pousse un grognement sans regarder dans sa direction.

— Merci de souligner l'évidence.

C'est un sentiment étrange de se retrouver là, vivant et hébété, alors que j'avais la conviction d'accueillir la mort il y a quelques heures. La suite, je ne la connais pas. Mon quotidien a toujours été rythmé, entre faire la misère aux Archippes, corrompre Misa mon trop-coincé de frère et faire rire les plus belles demoiselles Septriennes. J'ai toujours su la prochaine étape.

Que faire à présent ?

Je sors de la tente pour être baigné dans la lumière du jour. Le paysage tout autour est d'un doré étincelant et se reflète sur ma peau en millions de diamants. Je couvre mes yeux, le temps de m'habituer à tant de clarté.

Faisant rouler mes épaules, je m'ébroue un peu de cette nuit à même le sol dur. Ça aussi, c'était nouveau pour moi.

J'intercepte le regard de mon ancienne captive qui s'est juchée sur une butte en hauteur. Sa silhouette est athlétique, des bras sculptés dans le labeur, des jambes musclées, une peau burnée par le soleil implacable de Septorä. Elle n'a pas le corps gracile et délicat des femmes de coutume. Il n'y a que son visage aux traits raffinés, cette fragilité dans la mâchoire, cette douceur incontestable de ses lèvres, son nez long et fin et ses yeux dont la couleur ne m'est trop que familière, qui dissimulent une féminité longtemps oubliée.

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