Chapitre 1

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Zilpa

Le garde me remet à ma place.

Dans la boue.

Mes pieds s'enfoncent et je serre les orteils alors que la terre me monte jusqu'aux genoux. Je prends appui sur mon talon afin de remonter de quelques centimètres. Un exercice que je fais systématiquement. Comme la respiration. Pour ne pas me laisser ensevelir.

Si on reste trop longtemps immobile dans la boue, la terre se durcit autour des chevilles tandis que le poids du corps peut entraîner ce dernier vers le bas jusqu'à la taille. Après ça, pour s'extirper, on y laisse des morceaux de peau entiers.

À moins de vite réagir.

Une main puissante sur le coude me soulève brusquement, jusqu'à ce que mes mollets sortent.

— Ne rêvasse pas, Zilpa ou le sable t'avalera.

Aquila me regarde de ses yeux perçants et secs. Quelques secondes avant qu'il ne me lâche et retourne à sa tâche : modeler la terre. Plus alerte, je m'accroupis et plonge mes bras jusqu'au coude dans le lac noirâtre. Mes muscles tirent de partout.

Le soleil est cuisant et les gouttes de sueur ne tardent pas à couler de mon front pour tomber sous mes yeux crispés. Il est à son zénith. L'heure la plus chaude. Mon souffle se fait de plus en plus lourd. Les secondes deviennent des minutes sous cette longue brûlure.

Mon crâne cogne. J'ai envie de couvrir ma tête ou de me raser. Ma chevelure noire attire encore plus la chaleur. J'étouffe dans mes pensées.

Mes doigts agrippent de la pierre. Palpent les contours. J'appelle aussitôt mon oncle.

— Aquila. J'en ai trouvé une grosse.

Il arrête ce qu'il fait, une main en soutien sous chaque genou, il avance vers moi tant bien que mal.

— Fais voir, grommelle-t-il dans sa barbe.

Son bras descend le long du mien et je me redresse pour soulager mon dos. Ma tête. Tout.

Une courte pause pour ne pas me faire repérer des gardes. Ils surveillent de trop près. Beaucoup trop près, car ils ressentent un malin plaisir à nous punir. Mes yeux suivent la rangée des Midriens un peu plus haut. À la chaîne, ils se passent des pierres et des pierres. De toute taille. De tout âge. D'enfant à vieillard.

L'un d'entre eux peine à garder le rythme. Tenant à peine debout sur ses maigres genoux, son crâne est rouge et les rides sur son visage m'indiquent qu'il a bien trop vécu pour être à cette place. Il laisse soudain la pierre s'échapper de ses mains. De là où je suis, je peux voir ses doigts écorchés ruisseler de sang. Cette vision m'envoie des décharges de douleur dans tout le corps et je m'efforce de les réprimer.

Je mets un temps à revenir dans ma propre peau.

Le vent se coupe en deux. Un bruit siffle dans l'air et frappe toutes les oreilles alentours.

Un cri de douleur retentit.

Le grand-père est cambré en deux. Bouche grande ouverte par la douleur, il regarde vers le ciel, là où un aigle vole autour du soleil. Il baisse la tête pour laisser couler deux larmes et ramasse la pierre sous l'ordre venimeux du garde qui se tient derrière lui, le fouet déployé.

Le sang coule des petits lacets.

Le sang de centaines Midriens qu'il a fouetté tout le long de la matinée.

— Zilpa, me gronde sévèrement Aquila entre ses dents. Arrête de regarder ou ils te verront.

Au même moment, le garde tourne la tête vers moi. En une demi-seconde, je détourne le regard. Aussi vite que j'ai pu. Comme si je n'avais jamais posé les yeux dans sa direction. J'aide Aquila à soulever la pierre alors qu'elle remonte à la surface sur ses paumes.

À Ta PlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant