Même dehors

OS n°2 : Escapades 4/

Vendredi, 21h30, sur la route

Louis ne s'est pas rendu compte tout de suite qu'il conduisait, encore moins la décapotable beige d'Harry. C'est l'air étrangement frais qui accompagne la chute du soleil qui lui fait prendre conscience de ce qu'il a fait et de tout... ça.

Ça.

Drôle de mot pour qualifier ce sentiment qui l'envahit, et ce qu'il vient de laisser derrière lui en quelques heures. Ce n'est que temporaire certes, mais pourtant il ressent encore ou déjà cette culpabilité. Il sait qu'il va devoir appeler l'hôpital, se faire passer pour malade. Rien de bien compliqué en soit pour un infirmier, mais il sait qu'il va mentir,  abandonner des patients au moins le temps de quelques jours. Ça aussi, ça lui pèse.

Et surtout, il a abandonné Harry.

Bien sûr, il n'est pas parti pour rien, et d'ailleurs son corps plus que son esprit lui a indiqué la marche à suivre. Mais pour être honnête avec lui-même, pense Lou en soufflant, ce qui le gêne, c'est que tout revienne le hanter, et le toucher, profondément. Le forçant à se souvenir, à répéter le film en boucle.

Il lève brièvement son cou vers le ciel, histoire d'attraper la brise légère, et accélère un peu plus sur l'autoroute. Il aimerait être capable de bloquer ses pensées, de réussir à attendre de se réfugier chez Li pour tout déverser, mais elles sont là, parasites.

Il essaye de repousser les images, celles encore heureuses qui datent d'il y a si longtemps. Parfois, c'est comme un album photo, il se penche dessus sans savoir s'il doit en conserver un bon souvenir, être gêné, ou les détester.

Il est à peu près sûr pourtant de ne pas avoir toujours pensé du mal de son père, de la communauté, d'Alex. Il voit les images heureuses, au bord de la rivière, le château en ruines et les étés aussi lourds que celui qui arrive. S'il sert le volant plus fort, il peut se rappeler de l'amour de son père, d'un amour mutuel.

Mais le temps de desserrer les mains et de jeter un regard sur le siège passager (vide), il se rappelle du mal que cette même personne a infligé à leur famille. Ça lui sert encore le ventre, des années après.

Et l'album photo brûle. Ne reste que les longues années éprouvantes qu'il a vécues, pendant et après. Encore une fois, tout bonheur est oublié, remplacé par une haine intense. Quelque part entre cette haine et le dégoût, Louis se pose des questions qui n'ont pas de réponses. Des pourquoi permanents qui le hantent depuis longtemps.

Bien sûr, le questionnement apporte, à bien des égards, plus de satisfaction que les réponses elles-mêmes. Louis le sait, mais tout de même, ça tourne beaucoup dans sa tête.

C'est le bip caractéristique du réservoir qu'il lui fait reprendre pied. Il jette un coup d'œil sur le premier panneau qu'il voit, dans deux kilomètres, il pourra faire un plein. Dans quelques heures, il sera dans le sud. Chez le père de Li. Là où la jeune fille lui a proposé si souvent de venir pour faire un break. Il refusait, il n'allait pas si mal que ça. Visiblement, Louis avait tort.

Le temps passe vite dans le silence de l'habitacle et le bruit des voitures. Il ne doit pas être très discret avec une voiture pareille, mais il ne pense pas vraiment à ça. Les gens doivent simplement le prendre pour un jeune riche qui souhaite passer ses vacances dans le sud. Et à peu de choses près, ils n'ont pas tort.

Enfin, il ralentit et actionne son clignotant. En quelques minutes, il est à la station-service, avec la nuit qui tombe doucement, il y a quelque chose d'assez esthétique dans le parking quasiment désert et l'essence qui coule lentement sur le goudron. Sans remettre le toit de sa décapotable, il sort de la voiture, le vent vient soulever les manches courtes de son tee-shirt rose pâle. Il n'a pas la peau très bronzée, mais il se rappelle qu'Harry le trouve beau dans cette couleur. Les lunettes vissées sur le nez, il fait le plein. Personne n'attend derrière lui, parfait, ce genre de truc lui file toujours une angoisse monstre.