Samedi, 11h30, quelque part en Dordogne
À peu de choses près, Harry se demande s'il a déjà été aussi désespéré. Il est assis sur le trottoir, la tête avachie entre ses jambes serrées dans un slim noir. Il a les mains sur les oreilles. Il n'en peut plus d'entendre tous ses refus.
Personne ne veut les prendre en stop. Ça fait plus de trois heures qu'ils sont bloqués dans ce village paumé, et ils attirent plus de suspicions que de sympathie... Enfin, auprès des voitures qui daignent traverser ce bled, ce qui est rare.
Il entend Li s'affaler lourdement à côté de lui. Si même madame Je-vois-le-bon-en-chaque-être-humain abandonne, ça veut dire que la situation est pire que ce qu'il avait imaginé. Un soupir s'échappe de ses lèvres.
— Je suis désolée, quelle idiote d'avoir laissé les clefs sur le compteur, grince Li. Ce n'est même pas notre voiture...
— Il y a des cons partout, tempère Harry. Tu ne pouvais pas savoir.
En réalité, c'est un peu le cadet de ses soucis. Enfin, le vol. Il rachètera une voiture à son pote, l'argent n'est plus tellement un problème, les choses marchent bien pour lui. Ce qu'il veut, ce dont il a besoin, même, c'est de retrouver Louis. Et forcément, sans bagnole, c'est plus compliqué.
— Pourquoi personne ne veut nous prendre ? interroge Li, lassée.
— On a l'air de connards de parisiens, répond le bouclé.
— Pas du tout.
Malgré la peine et l'angoisse, Harry ne peut s'empêcher de sourire. Ça ne l'étonne pas que Li n'apprécie pas la comparaison, mais ils doivent se rendre à l'évidence, avec leur look de bobo chic, ils ne leurrent personne.
— On devrait essayer plus loin ? tente Li.
Le bouclé hausse les épaules, il n'est pas certain que ça change quelque chose. Ils pourraient retourner dans le PMU, demander le numéro d'un loueur de voitures... mais à quoi bon ? Sans argent, ni papiers, aucun concessionnaire ne leur fera un contrat. Il pense brièvement à essayer de joindre quelqu'un sur Paris, mais évidemment il n'a aucun numéro en tête. C'est la faute aux smartphones, ça, ils ont toujours tout à portée de main : les numéros, les adresses. Google est leur deuxième cerveau, ils ne savent plus rien faire tout seul, peste Harry.
OK, boomer.
Brusquement, le bouclé aperçoit Li se relever du trottoir. Une voiture est en train de traverser la place et la jeune fille se jette littéralement sur la chaussée pour arrêter le véhicule. La fenêtre se baisse, brièvement, et alors que la brune se décale pour discuter avec la conductrice, la voiture repart à toute allure sur la route.
Génial.
— Je fais si peur que ça ? demande Li, dépitée.
— Tu leur as sauté dessus, pointe Harry.
— C'était la première voiture depuis vingt minutes.
— Je sais.
La brune se rassoit à ses côtés, elle remonte les pans de son pantalon jusqu'à ses genoux pour laisser ses jambes dorer au soleil. La sensation est agréable, ça fait au moins ça. Enfin, à côté d'avoir laissé Louis partir, d'avoir planté Billy et d'avoir perdu leur voiture avec toutes leurs affaires, la récompense est un peu maigre.
— Je suis un horrible petit ami, dit Harry.
— Non, tu ne l'es pas.
— Il ne m'a jamais parlé de retourner dans la secte, il l'a même fait dans mon dos, sans même me laisser un mot, rappelle le bouclé, énervé. J'ai dû faire quelque chose de mal, non ?
— Arrête de te torturer, répond calmement Li.
— J'aurais dû voir qu'il allait mal, insiste Harry. J'aurais dû être plus à l'écoute, j'aurais dû poser plus de questions... Tu sais, finalement, je crois que ça m'arrangeait qu'il te parle. Il déversait tout sur toi, comme ça, ça ne m'éclaboussait pas. Je suis un garçon lâche et pas à la hauteur de la personne qu'il aime.
— Non, tu...
— Ce n'est pas ce que tu reproches à Billy peut-être ? l'interrompt-il, sèchement.
Harry ne sait pas trop d'où lui vient cette soudaine colère. Peut-être la fatigue, peut-être la peur, en tout cas, il est énervé. Vraiment énervé. Que les choses ne tournent jamais bien, que le bonheur puisse s'effriter sans crier garder, que l'on rate des instants de vie parce que l'on est juste stupide et aveugle.
Et Li n'a certainement rien à voir avec ça, mais il a envie qu'elle sache que ça arrive. Il ne veut pas être rassuré, il veut être accablé. Parce que ça l'aiderait à comprendre pourquoi Louis lui a filé entre les doigts.
— Pourquoi tu cherches à me défendre ? poursuit-il. Tu veux trop excuser les gens, Li. Tout le temps, des excuses. Le monde n'est pas plus beau dans tes yeux, il est juste faux. Tu te voiles la face. Peut-être que si Billy ne change pas, c'est parce qu'il ne t'aime pas assez. Et peut-être que si Louis est parti, c'est parce que moi non plus, je ne l'aime pas assez. Pas assez bien, en tout cas.
Li reste là, sans voix. Elle n'excuse pas, elle cherche à comprendre, et oui c'est sûrement plus difficile que de se lamenter sur son sort comme Harry le fait à cet instant. Alors, maintenant, il y a aussi de la colère en elle, mais la brune ne sait pas comment l'exprimer. Car les yeux d'Harry sont graves et désespérés.
Elle préfère laisser tomber.
Soudain, un klaxon la sort de son état de stupéfaction. Elle sursaute, redresse la tête. Il y a une voiture garée devant eux, un cabriolet vert tout délavé. Elle ne l'a même pas entendu arriver.
Elle se relève, époussetant son pantalon.
— Vous êtes en galère ? interroge le conducteur.
Li s'approche de la fenêtre ouverte, elle croit presque à une apparition divine.
— Oui, on nous a volé notre voiture, on n'a pas d'argent, ni téléphone, explique-t-elle la situation.
— Oh, dit le garçon, embêté.
La jeune fille l'observe. Il semble avoir leur âge, ça lui fait plaisir de voir un jeune dans le coin.
— Vous voulez que je vous dépose au commissariat pour porter plainte ? interroge-t-il.
— Bonjour, intervient Harry, s'approchant à son tour de la fenêtre. À vrai dire, on cherchait plutôt à monter dans le Périgord vert.
Le conducteur fronce des sourcils, et Li se dit qu'ils doivent avoir l'air bien suspects à s'entêter de voyager sans voiture ni argent.
Mais il ajoute quand même, prudemment :
— Eh bien, j'y vais, si vous voulez...
— Oh, vous nous sauvez la vie ! s'exclame Harry.
Et aussitôt, il s'engouffre sur la banquette arrière. Probablement par peur que le jeune ne change d'avis. Li s'installe à l'avant, c'est vrai qu'une chance comme celle-ci ne risque pas de se reproduire tout de suite, autant en profiter.
— Je m'appelle Li, se présente-t-elle.
— Et Harry, ajoute le bouclé derrière eux.
La voiture redémarre, et le conducteur leur sourit.
— Enchanté, vous deux. Moi, c'est Alex.
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Même dehors
General Fiction"Même dehors" est un recueil d'OS qui est la suite de la fiction "Apparence". Après être passés dans une TV-réalité très populaire, les candidats sont désormais de retour dans le quotidien. Mais le succès est éphémère, alors comment retrouver une...