Samedi, 11h50, Périgord
Li est observatrice.
Depuis toujours, elle a ce truc en elle, ce besoin de scruter les personnes qu'elle rencontre, peut-être parce que c'est un premier moyen de les apprivoiser. Elle trouve que c'est une plus jolie façon de s'intéresser aux gens : les regarder, les écouter, les comprendre.
Plutôt que de parler pour combler le vide et éteindre le malaise, comme le fait Harry depuis bientôt vingt minutes. En même temps, ça arrange Li, tout ça. Parce que plus Harry parle, plus elle a le loisir d'observer ce qui se passe.
Et évidemment, Alex, leur conducteur, est passé dans son radar. Déjà, elle a vu le médaillon en or qui repose par-dessus sa chemise. Elle sait que c'est un objet précieux, Alex le presse machinalement entre ses doigts, comme pour vérifier sans cesse qu'il est bien accroché à son cou. Puis elle a fait attention aux vêtements, à sa tenue plutôt stricte, un peu vieillotte. Ses cheveux blonds, en brosse. Il fait sage, propre sur lui. Ça lui rappelle Louis, au début de Secret Story. Ils ont la même façon de se tenir droit, la même politesse quand ils s'adressent à des inconnus, la même mesure dans leurs mots et dans leurs gestes.
Et surtout, Li sait qu'Alex les connaît. Ça, elle n'arrive pas à se l'expliquer, mais c'est un pressentiment. Pourquoi est-il venu naturellement à leur rencontre alors que tout le monde les ignorait dans ce village ? Pourquoi les conduire sans réfléchir au beau milieu du Périgord vert ? Comment ignorer le magazine qu'Harry tient toujours fermement dans ses mains ?
Li en est persuadée ; Alex sait qui ils sont. Peut-être qu'il les a vus à la télévision, certes, mais il ne l'a pas évoqué une seule fois durant le trajet, et ça renforce ses suspicions.
— Et c'est sympa de vivre ici ? relance Harry. Il n'y a rien, dans ces forêts.
La brune retient un sourire. Elle comprend ce que fait le bouclé, assis sur la banquette arrière, captant le regard d'Alex dans le rétroviseur. Il tente de récolter des informations, sans aller droit au but. C'est plutôt une bonne manœuvre, les gens d'ici n'ont pas l'air très ouvert à parler de cette communauté bien mystérieuse qui défraie la chronique, d'autant plus après le passage de ces journalistes people...
— C'est vrai, mais c'est ce que j'apprécie ici, le calme, lui répond Alex.
La voiture prend un virage et Li scrute le paysage sous ses yeux. Les forêts sont magnifiques dans ce coin de la France, d'une verdure à couper le souffle. Avec les rayons du soleil filtrés par les branchages, il en ressort une sorte de douceur. Li rêverait de s'y balader des heures et des heures, sentir l'odeur de la sève, le bruit des feuilles qui s'écrasent sous la semelle de ses chaussures, être bercée par le chant des oiseaux.
Un jour, Louis lui a dit qu'elle adorerait voir le coin où il a grandi. Elle en est désormais persuadée.
— Moi aussi, j'aime le calme, dit-elle, doucement.
Elle sent le regard d'Alex sur elle. C'est vrai qu'elle n'avait pas parlé depuis le début du trajet, il doit être surpris d'entendre le son de sa voix.
La brune se retourne vers lui, et l'espace d'un instant, leurs regards se croisent. Alors, dans un souffle qui ne parvient que jusqu'à elle, elle entend :
— Oui, je sais.
Étrangement, ça calme les battements de son cœur. Li a vu juste, alors elle se concentre plus attentivement sur Alex. Elle remarque une bague à son annulaire, pourtant il doit avoir l'âge de Louis. Il n'est pas bien vieux.
— Tu as toujours vécu ici ? relance-t-elle.
Li entend Harry grogner derrière, sûrement qu'il désirait que la conversation prenne une autre tournure que la vie d'Alex, puisqu'il est à mille lieux d'imaginer ce que Li a déjà compris. Le bouclé se replonge dans le magazine people, histoire de s'assurer qu'il n'a rien loupé, alors que tout est en train de se jouer juste sous ses yeux.
Idiot de garçon.
— D'aussi longtemps que je me souvienne, répond le conducteur en un sourire amusé.
— Tu t'y sens bien ? suggère la brune.
— J'y suis à ma place, confirme-t-il.
Li l'observe. Son corps est tendu désormais, ses épaules semblent plus carrées dans cette position, ses mains accrochées avec force au volant, sa cuisse tressaute légèrement, elle et lui savent bien ce dont ils parlent.
— Ce n'est pas le cas de tout le monde, ajoute-t-il après un temps.
— Tu as vu des amis partir ?
— Certains, dit-il.
— Ils te manquent ?
— Ils ont fait leur choix.
— C'est bien d'en avoir, du choix, remarque Li.
Alex tente un regard vers elle. Ses yeux sont un peu tristes et Li se sent désolée pour lui. Billy trouverait qu'elle en fait trop, comme d'habitude, mais c'est dans sa nature. Elle ne peut s'empêcher de se mettre à la place des autres.
Le garçon revient à la route, hochant vaguement la tête à sa remarque.
— Est-ce qu'ils reviennent, des fois, tes amis ? demande Li.
Dans le fond de la voiture, Harry s'avachit dans le dossier, dépité. Li n'ouvre jamais la bouche, mais là, elle se passionne soudainement pour cet inconnu. Ils ont bien plus important à faire, genre, retrouver une secte perdue quelque part dans ces forêts qu'ils traversent.
Il voudrait les interrompre pour parler du trajet, mais Alex répond déjà à la brune :
— Ça arrive.
— Et qu'est-ce que vous faites, quand ils reviennent ?
Alex sait bien ce qu'elle lui demande, et puis, au fond, ce n'est pas pour rien qui les a pris en stop. Il les a tout de suite reconnus. Il faut dire qu'ils ne passent pas inaperçus, ces deux-là, dans ce coin paumé où les gens sont toujours un peu les mêmes, les habitudes un peu usées. Parfois, on dirait que le temps tourne au ralenti ici.
— Il y a une balade qu'on faisait plus jeunes, là, dans les hauteurs. Il y a une chapelle abandonnée tout là-haut, il ne reste que des ruines, personne n'y va jamais. Ça n'intéresse pas les touristes. Alors on y jouait pendant des heures, on y était les rois du monde.
— Comme un refuge, murmure Li.
— Exactement, appuie le garçon.
La brune sourit, soulagée. Alex sait pertinemment où est Louis et ils en prennent la direction.
— On y arrive bientôt ? interroge-t-elle.
Harry se relève brusquement de la banquette arrière, faisant tomber son magazine sur ses genoux. Ses mains s'accrochent aux dossiers devant lui pour capter plus sérieusement la conversation. À quoi joue Li, bordel ? s'interroge-t-il. Ils ne sont pas là pour faire les touristes !
— C'est encore à quelques kilomètres, mais oui, bientôt, confirme Alex.
Le bouclé s'apprête à s'offusquer, mais il croise le regard de Li qui l'en dissuade immédiatement. Harry comprend qu'il est passé à côté de quelque chose, mais quoi ? Il se refait la conversation, mais la réponse vient assez vite à lui lorsqu'il entend Li dire à leur conducteur :
— Merci. Tu es un bon ami.
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Même dehors
General Fiction"Même dehors" est un recueil d'OS qui est la suite de la fiction "Apparence". Après être passés dans une TV-réalité très populaire, les candidats sont désormais de retour dans le quotidien. Mais le succès est éphémère, alors comment retrouver une...