J'ai conduit moi-même la diligence jusqu'à Valmy où je comptais nous établir après avoir semé le cocher sur la route. Je suis allé vers ce chemin en pleine conscience je l'avoue, car j'étais soucieux de rencontrer d'autres gendarmes sur la route de Compiègne d'abord, mais aussi car cette malencontreuse mésaventure avait accru mes incertitudes quant à l'avenir d'Étienne. Il était clair qu'ils étaient à sa poursuite, que l'on ne comptait déjà plus sur moi. De ce fait il n'était pas en sécurité là-bas, ni même ici ou nulle part ailleurs qu'avec moi. J'étais celui qui avait évincé leurs plans, qui avait évité la catastrophe. Étienne seul n'aurait pu leur échapper. N'était-ce pas un peu vrai ?
Nous arrivâmes à Valmy quand la nuit fut déjà bien entamée. Étienne relâcha sa compagne de voyage et celle-ci disparut dans les rues avant même que j'ai pu m'adresser à elle, mais je considérais que sa parole était sans risque pour l'heure. Qu'avais-je le temps à courir après les bonnes alors que ma nymphe blême tombait de sommeil au terme de cette balade tumultueuse ? J'avais mieux à faire que de m'inquiéter de ce qui adviendrait d'elle, il me fallait pour l'heure trouver un nid où je pourrais déposer mon réfractaire, quoique je ne pouvais avoir pleinement confiance en son sommeil-même. Il est vrai qu'à partir de cet incident, j'alourdis fortement mon attention au sujet de tout ce qui l'entourait, et de tout ce qui était potentiellement capable de le toucher ou de s'adresser à lui. Vous pouvez bien penser que ces attentions particulières dépassent de loin mes qualités de garde du corps solennel, mais je ferais remarquer qu'un gendarme -quand il est n'est pas occupé à tirer à volonté sur un collège en fuite- se doit d'apporter pareille attention aux citoyens les plus vulnérables -ou désirables. Et Étienne avait tout de cela lorsque je lui donnais le bras pour l'emmener à une auberge aux vitres luisantes dans cette nuit presque blanche.Cette auberge est bien celle dont on vous a parlé, monsieur le Lieutenant. C'est cette fatale auberge où cela se passera. Je ne doute pas que vous vous y êtes rendu vous-même, pour inspecter ou que sais-je, vous rendre compte de la véracité des faits relatés. C'est elle, avec ses murs de cerise écrasée, ses meubles de bois brun, son comptoir chargé de victuailles, ses poutres s'élevant çà et là, les étagères où reposent des coffrets de faïence, et les faux et autres coutelles exposées en ornement. Charmante auberge, n'est-elle pas ? Bien que je considérais notre présence ici comme temporaire, elle fut le foyer de ce qui demeura cette période de Valmy.
J'ordonnais une chambre pour moi et mon jeune frère à qui je prêtai le superbe âge de dix-sept ans. Pas encore un homme ni un soldat. L'aubergiste, le petit et mauvais aubergiste de campagne, si j'en crois mes souvenirs, m'en céda une pour trois francs la nuit, ce qui ne faisait pas rougir mon pécule d'homme de loi. Je réglais la somme convenue et j'en donnais l'avance pour un jour de plus sans pour autant qu'il soit dans mon dessein de m'éterniser. Voyez-vous monsieur, je ne sais de quelle étourderie j'avais fais preuve dans ma manœuvre, mais il me semblais bien durant cette première apparition parmi les habitants de Valmy que nous étions lorgnés par de mauvais regards. Nous ne troublions aucunement le boulevari de leurs causeries et des flutes de leurs trouvères, seulement nous étions épiés. Mesurés, surveillés que sais-je encore. Une vaste froideur de paysan, ou l'effarouchement collectif d'un bourg encousiné à l'encontre de deux inconnus clopinants comme des gibiers. Je m'étais demandé, avec une lucidité craintive, si nous n'étions pas un peu incriminés de quelque chose. Si notre arrivée n'était pas suspectée d'être en connivence avec l'élaboration de leur marché, triste essaim de voleurs de passage, des voleurs comme nous, qui n'avions jamais été vus ici auparavant. Je préférais m'ôter tout de suite d'une telle réputation, de peur que cela ne secoue trop le bourg et attire une attention autoritaire, ce dont nous pouvions nous passer, vous l'aurez compris. Aussi je prévoyais de m'assurer du sommeil de mon compagnon, qui ne faisait que geindre." Quel traitre tu es, m'emmener ici ! Nous aurions mieux fait de dormir dans la forêt, au moins nous serions restés sur la route de Compiègne, mais non ! Tu préfères me faire perdre mon temps et tenter le diable, à nous présenter ici où on se souviendra de nous ! "
VOUS LISEZ
Le Réfractaire
Historical FictionAndré de Thouars, un gendarme tout droit issu des troupes militaires de Napoléon, est enfermé au bagne pour haute trahison. Ayant échoué à livrer un réfractaire échappé du service militaire aux autorités françaises, il est engagé à rédiger une ébau...