Ce n'était pas un petit village, mais une petite ville. Y'a-t-il une différence ? Certainement, car le Pré-Saint-Gervais remuait de vie. Il était engoncé de petites ruelles, maisons de pierres médiévales ou que sais-je. Une bourgade arrangée de prés florissants et d'éclats de soleil.
La première fois que je sifflais le nom de Chantenay à voix haute fut à l'intention d'un marcheur qui accompagnait ses brebis à travers une artère où j'errais justement. Ses bêtes beuglantes mirent volontiers à mal notre échange, mais je réussis à extirper l'information qui sembla principale, celle soutenue par un geste du bras de la part du gaillard. C'était une indication directe à une certaine auberge du même nom, et dont il avait la ferme conviction que les propriétaires étaient des Chantenay. Et en m'approchant de l'enseigne, je pu constater par moi-même qu'il n'avait pas tort. C'était bien ici que résidait celui que je cherchais. Aussi, la perspective de me retrouver face à un aubergiste changea mes plans. Si je ne pouvais décemment pas le conseiller au sujet de ses plantations, il fallait que je trouve quelque astuce pour lui faire quitter son tablier. Je comptais alors fortement sur la possibilité qu'il n'était pas le seul gérant de cet établissement. Il suffisait qu'il ait une femme, et elle pourrait prendre la relève sans problème tandis que lui sera dans les ordres. Et c'est satisfait de cette idée que je me laissais entrer dans l'auberge.
Avez-vous été dans une auberge ? Même si ce n'est pas le cas, vous n'auriez pas été attrapé une seule seconde, car cet établissement, ça n'était pas une auberge. C'était un lupanar. Cette conclusion sauta à mes yeux avec la même vivacité que la jeune femme qui m'accueillit à peine entré. Sachez que je n'ai en moi que l'honnêteté pudique du voyageur. Aussi m'empressai-je de lui affirmer ma candeur inébranlable alors qu'elle se pressait chaleureusement contre mon uniforme tout en m'immobilisant de ses yeux papillonnants. C'est généralement de cette sorte que les galantes vous inspectent. En plus de glisser ses mains caressantes sur vos poches pleines, elles vous maintiennent sur place avec une autorité délicate et sans appel, mais juste le temps qu'il faut, c'est à dire le temps que vous ayez passé sous l'œil expert de la maquerelle, qui n'était jamais loin, ou qui était toujours là où il fallait être entant que gérante et protectrice de ses employées. Si de toute évidence, votre allure était trop incertaine, à cause de votre ébriété disons, alors c'était cette dernière, cette vieille femme qui avait quitté le métier depuis longtemps, qui prenait les rennes en vous invitant à sortir avec une politesse blanche d'abord. La violente dégringolade sur les pavés de dehors ne venait que lorsque mécontent, vous vous agitiez de façon incontrôlable. Vous doutez de mon innocence ? Quant à cela je vous répondrais que c'est un de vos hommes -Penaud que nous l'appelons- qui m'a livré le récit de ses débuts entant que hôtelier dans un lupanar, lors de nos tours de garde dans la ville. Et de toute évidence, il est possible de dormir dans un lupanar à la seule condition que vous soyez hôtelier.
La maquerelle, je l'avais repérée. Elle était rangée derrière son comptoir, à l'opposé d'une estrade encadré de rideaux rouges et bruns où évoluaient des silhouettes sales et théâtrales. Le prolongement de la salle n'était que tablées et ivrognes spectateurs des pitreries des actrices. Je réussis successivement à filer hors des bras de ma galante et à m'approcher de sa vieille mère. Mais quand je fus près, je constatais tout en masquant mon étonnement que cette maquerelle, si elle eut été maquerelle, était bien jeune, à un tel point qu'elle semblait presque du même âge que la première. C'est l'esprit embué de doutes que je m'asseyais à son comptoir boisé et barré d'un linge blanc qu'elle avait lâché en me voyant. Elle me montra ses dents claires." Qu'est-ce que je lui sers ?
- Une coupe d'eau de vie. "Des airs de piano classique émanaient d'une caisse au fond de la salle, en harmonie avec la représentation sulfureuse et endiablée qui se déroulait sur scène. Mais ces notes se perdaient sous les cris hilares des spectateurs et les battements de pieds des deux acteurs qui s'agitaient sur les planches crasseuses comme s'ils avaient le corps couvert de cafards. A dire vrai, je n'étais pas franchement certain de trouver le réfractaire ici. Cela me semblait plus être une réunion d'habitués et de laveuses de culottes, tout ce beau monde se massant dans un puits de bassesses et de vers de boulevard. Mais le gendarme, en cette masse, se fondait comme l'eau dans le vin.
Vous pouvez aisément vous figurer l'art grotesque, la gestuelle grandiloquente et embêtée par des atours rabougris qu'on ne laisserait même pas à la dépouille de la madame du Barry. Et bien cette soirée était de cela ; deux femmes qui clamaient haut et fort, qui jetaient des exclamations loufoques à tort et à travers. L'une d'entre elles avait une redingote brodée de volants sur le dos, une rhingrave et des petits talons. Je devinais que c'était ici le canon de la farce. La fille embêtait sa partenaire, qui de son coté, la frappait avec son éventail en faisant des grimaces affligées." Attendez madame ! J'estois pissant que vous voulu que je vous frotte les oreilles ! Attendez alors ! "
J'allais détourner le regard de ces fadaises immorales qui me détournaient de ma mission. J'allais insinuer quelques interrogations dans une conversation que j'aurai lancé auprès de la maquerelle afin de trouver mon homme, ou d'au moins m'en rapprocher autant que je le pouvais, mais le début de ma prise de parole fut balayé par une vague de rires. Il fallut alors que la farce soit bien enjambée, ou que le public soit bien prit, pour que les comédiennes récoltent autant d'hilarité. Je me retournais sur mon tabouret et mes yeux tombèrent sur scène. L'homme sans moustache avait ouvert une poche découpée en carré au devant de sa redingote et dévoilait une toison blondette qui fit hurler la salle, mais qui n'ébranla point André qui savait à quoi s'attendre, en dépit de sa piètre interprétation de l'arrangement féminin. La trompeuse mima un étonnement colérique en serrant ses poings et en tordant sa bouche rose. Elle se tourna vers sa partenaire et sembla entreprendre de lui démontrer son désarroi avec quelques coups sur ses pommettes poudrées, tandis que sa rhingrave de charpie pendait toujours entre ses jambes en provoquant de vives exclamations de la part des plus avides.
L'autre fuyait sa compagne en faisant d'innombrables tours sur la scène, jusqu'à ce que son jupon glisse dans la main de son mari déculotté, et qu'il le soulève avec force en l'enfouissant dans son corsage mince. De nouvelles acclamations. André demeura stupéfait. Je dois ici livrer la précision commode que vous guettez déjà depuis bien longtemps je crois, celle qui selon quelque principe véritable ou pour le moins indéniable et légitime, admet qu'il est permis à un soldat d'être parfois attrapé, de parfois baisser sa garde au gré de la fatigue d'un trajet, et Dieu sait que le gendarme eu fait une belle marche avant d'échouer dans cette enseigne qui signe son arrêt de mort. Aussi, pardonnez mon cœur, le fou ! qui a bondit en découvrant ce qui l'attendait, depuis tant de temps que le gringalet était en vie, entre ce jambage lactescent. Mais déjà mes doigts se serrent sur le bout de ma plume, la passion m'atteint à nouveau à la pensée de cette fois, une fois, parmi toutes celles qui illuminent ma vie, si cruellement rares pourtant, les fois où mes yeux se sont posés sur Étienne. C'est une aliénation physique, une bizarrerie sensationnelle. C'est sous vos réflexions une imbécilité brave mais futile. Et c'est sous les miennes un vertige gai et engoué. Il ne peut y avoir d'accord franc entre vous, monsieur le Lieutenant, moi, et moi-même au sujet de ce qui présageait l'attraction mortelle qui est la mienne lorsque je découvrais que la scène était mixte, et que pire que tout, les rôles étaient savamment échangés en une farce qui, somme toute, n'avait rien de novateur, et dont l'humour était blafard et usé.
C'est fort ému, fort dansant et si délicatement articulé dans ses guenilles de vieux rose que le jeune acteur de lys et de blé se mouva en réponse à son mari. Et comme c'eut été somme toute geste naturel, la farce s'enchaina sur deux ou trois nouvelles répliques que je n'entendis pas depuis mon comptoir." Ce n'est pas bien mûr, je soufflais à ma commère.
- Ah ! La vingtaine et frêle. Et ça a les hauts rêves. "Oui, je le comprendrais plus tard mais Étienne était en ce temps un enfant rêveur, charme de la jeunesse qui fuit la guerre.
C'est ici que l'envoyé hume sa proie. Ma mission me revenait doucement en mémoire, lentement, douloureusement. Je ne voulais pourtant pas encore me défaire de ce destin, sachez-le monsieur. Je me trouvais même fort arrangé que ce garçon fut celui que je devais enlever à son cadre de rideaux rouges et de planches de bois. Je me suis d'abord réjouis, et j'ai même songé sans savoir la raison de cette pensée que le trajet serait plus doux avec ce personnage, fut-il une muse ou une naïade. Mais encore fallait-il l'approcher. Et déjà, alors que j'élançais à nouveau ma perception vers la scène, la voilà vidée. Et les filles montent toutes à l'étage d'en haut en trainant leurs frisottis et leurs paires d'yeux.
VOUS LISEZ
Le Réfractaire
Fiksi SejarahAndré de Thouars, un gendarme tout droit issu des troupes militaires de Napoléon, est enfermé au bagne pour haute trahison. Ayant échoué à livrer un réfractaire échappé du service militaire aux autorités françaises, il est engagé à rédiger une ébau...