⌜𝚍𝚒𝚡⌟

2.8K 377 16
                                    

Bonne lecture !

____________________

Harry se frotte les yeux dans un soupir. Face à lui, la légère lumière qui éclaire son bureau vacille.

En relevant la tête, il constate qu'il est seul : ce n'est pas étonnant, mais cette fois il n'a rien entendu. Pas de « bonne soirée, Harry » ou de « A demain, monsieur Potter ». Ses hommes, ceux qui sont sous ses ordres et dans son équipe, sont simplement partis pour rentrer chez eux, et Harry était tellement pris dans tous les papiers éparpillés qu'il ne les a même pas entendus.

Il est seul, dans le grand bureau ouvert.

Quand il est arrivé, quelque temps plus tôt, on lui a laissé le choix. Bien sûr qu'on le lui a laissé : il est Harry Potter. Il est arrivé, on lui a offert le poste, et le ministre de la magie en personne est venu lui serrer la main en lui demandant quelques choses simples : où voulez-vous vous installer, et qui voulez-vous dans votre équipe.

Harry y avait bien réfléchi, à l'époque. Deux ans plus tôt, à peine, et pourtant il repense aujourd'hui à cette période comme dans un brouillard. Plus de Poudlard, plus de guerres, simplement lui (qu'on considérait à présent comme un adulte, comme un sorcier).

Il soupire à nouveau, car ses yeux le brûlent douloureusement. Peut-être qu'il ferait mieux de rentrer, lui aussi. Il n'a pas pris de douche depuis un moment. Ses cheveux ne ressemblent à rien. Ses yeux sont rouges, cernés, injectés de sang. Son dos lui fait mal, à force de rester là, penché sur des documents.

Mais il n'a pas envie de rentrer. Il n'a pas envie de traverser la moitié de la ville, de flâner des heures dans les rues pour profiter de l'air plus frais, de se laisser tenter à voler sur un balai sur son terrain préféré. Il a envie d'enfin trouver l'indice qui lui manque pour son affaire.

Tant qu'à être seul là-bas, autant être seul ici.

Harry serre les lèvres. Sa gorge devient douloureuse.

- Tu devrais rentrer, Potter.

Il se redresse dans un sursaut, et renvoie vers Blaise un regard surpris. Il ne l'a pas entendu arriver (pas de respiration, pas de pas, pas de présence magique : Harry a l'impression d'être devenu complètement sourd, tout à coup, lui qui y était si sensible). Peut-être qu'il est vraiment épuisé, tout compte fait.

- J'ai pas encore terminé.

Blaise lève les yeux au ciel, et dépose un café sur le rebord. Un mug en porcelaine, bleu, fumant d'un café sombre rempli à ras-bord.

Harry fronce les sourcils ; Blaise sourit.

- Bois ça, c'est de la part de la secrétaire de nuit du premier étage. Tu l'as aidée pour un truc la dernière fois, et je crois que depuis elle t'aime bien.

Il a besoin de ce café, en vérité. Il sent bon, et dans l'état où il est il se sent prêt à faire un cul-sec histoire de regagner au moins un peu de force pour terminer ce qu'il a commencé. Harry se souvient de cette fille - elle est jolie, portait de petits escarpins noirs, et a manqué de faire tomber de la paperasse dans les escaliers. En vérité, ce n'est pas vraiment lui qui l'a aidé : sa magie n'en fait un peu qu'à sa tête ces derniers temps, et les papiers ont volé tout seuls autour d'eux jusqu'à retourner dans ses bras en un paquet parfait.

Elle l'a remercié, il a haussé les épaules. S'il s'en souvient, c'est parce que cette interaction est la seule qu'il ait eue depuis quatre jours.

Soudain, il fronce les sourcils.

- Elle m'aime bien ?

- Je sais, je trouve aussi qu'elle a des goûts affreux. Mais qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? Je suis allé faire un petit tour aux toilettes, j'ai été chercher un papier, un café, et cette fille m'a presque attrapé en me demandant si tu étais encore là. Elle a rien mis dedans, t'inquiète pas. Juste un café.

- Juste un café, répète Harry.

Il ne sait pas quoi en penser. Ce n'est pas la première : il reçoit des chocolats dans sa boite aux lettres tous les jours. Mais c'est parce qu'il est Harry Potter, pas parce qu'il a récupéré quelques papiers dans une cage d'escalier.

- Elle a vraiment des goûts affreux, confirme-t-il en attrapant la tasse pour la porter à ses lèvres.

Le goût est amer, et ça fait du bien. Il en prend trois grosses gorgées.

Là tout de suite, il est juste épuisé et seul. Pas en colère, pas désespéré, simplement seul.

- Bon, Potter, soupire Blaise et il s'assoit sur le coin du bureau.

Son ton, ce ton-là, Harry le connaît bien. Quand il commence (quand ils commencent tous à lui parler comme ça, quand les Serpentards lui disent « Potter » et non Harry pour amoindrirent le ton sérieux qu'ils s'apprêtent à utiliser) à dire ça, alors il ne va pas apprécier.

Quand Blaise, Théo, et Draco lui parlent de quelque chose d'important, c'est « Potter ». Parce que c'est plus simple, et les Serpentards n'aiment pas les grandes discussions sur les sentiments.

- Blaise...

- Parle-moi un peu, d'accord ? Vide ton sac. J'ai l'impression de te dire tout le temps de rentrer chez toi, et quand je reviens le matin t'es encore là. Alors vas -y, dis ce que tu as à dire, peut-être que ça ira mieux.

Il n'a pas l'air d'y croire, parce que Harry n'est pas comme ça. De ces choses, il n'a pas envie d'en parler. Il attend, reste silencieux, explose de temps en temps seul dans son coin : c'est comme ça qu'il gère.

Il fait ce qu'il peut, c'est sa méthode.

Mais cette fois, Blaise l'écoute attentivement, son propre café dans la main. Il fait nuit, la lumière décline, le bureau est vide.

- Draco doit rentrer bientôt, et je me sens seul. J'ai pas envie de rentrer chez moi, j'ai pas envie de voir du monde. J'ai juste envie qu'il rentre.

Le dire comme ça, à voix haute, ça fait mal. Harry se sent idiot, et encore plus seul, car tout à coup c'est réel.

- Je ressens plein de trucs, et je sais pas quoi en faire. Ma psy m'énerve, Sirius m'énerve, même Hermione m'énerve. Ils ont rien fait, ils essayent juste, mais... c'est pas eux dont j'ai besoin. Je sais même pas ce dont j'ai besoin.

Il déglutit.

- Je sais juste que Draco n'est pas là, qu'il répond au téléphone une fois sur quatre, et que j'ai l'impression d'avoir sept ans à nouveau.

La septième année était la pire. Ses sept ans. C'est à ce moment qu'il a compris beaucoup de choses : qu'à l'école on a commencé à l'embêter, qu'il est devenu assez grand pour qu'on s'inquiète pas trop d'une chute dans les escaliers ou un petit coup de poêle chaude sur l'épaule. Qu'il a commencé à se sentir seul, et à détester le bruit.

Il se mord la lèvre, inspire fortement. Blaise le regarde, sans rien dire : Harry aime bien quand les autres ne disent rien, il préfère quand il n'y a pas de réponse car de toute façon aucune de lui irait. Il n'a pas envie de s'énerver contre Blaise.

- Je ne sais pas où est Draco, j'ai envie d'avoir un chat mais j'ai peur de vouloir ça par égoïsme, et mon meilleur ami n'est pas là pour me dire d'arrêter de jouer au héros mélodramatique.

Voilà, il l'a dit. Il a tout dit, ou presque : en tout cas, de ça il en est conscient. Sa psy n'a toujours pas réussi à lui faire comprendre d'où vient sa colère.

Le silence s'étire un moment. Harry boit son café.

- Bon, d'accord, dit Blaise. Bois ton café, termine ton truc, et rentre chez toi. Tu pues, Potter. Et ta tête est affreuse.

Leurs yeux se croisent. Harry acquiesce.

Peut-être qu'il est temps, finalement.

________________________

Demain peut-être || DrarryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant