Chapitre 22

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               ROMAN

    Alice m'attrape au vol alors que je frotte ma jambe avec une main et prend des analgésiques de l'autre. Même si je tente de dissimuler, je ne peux pas cacher la douleur alors je la laisse me regarder en silence. Elle met un coussin sur la table du salon et m'aide à mettre ma jambe en hauteur. Elle se lève et revient de la cuisine avec 2 muffins au chocolat blanc et 2 tasses de café. Elle s'installe à mes côtés et appuie la tête contre le dossier en me regardant avec son visage d'inspecteur. Je ne peux éviter un éclat de rire.

— Quoi ?

— Ça fait longtemps que je supporte le mal que tu te fais dans cette tête d'âne que tu as, Roman, mais je ne vais pas consentir que tu te blesses physiquement aussi.

— Tu crois que me suis blessé intentionnellement ? Je suis sorti courir un peu et je suis tombé. Je ne pensais pas que ça serait aussi douloureux.

— Et tu es sorti courir parce que...

— Parce que faire de l'exercice est sain, voilà pourquoi !

— Tu peux me dire la vérité quand tu voudras.

    Elle se tourne vers moi, les sourcils froncés et les bras croisés. Elle est adorable, mais par moments, je la déteste.

— Parce que j'étais indécis, plus que d'habitude, je reconnais après quelques minutes de silence. Un gars qui était avec moi à l'école de cuisine m'a appelé. Son patron aime bien mon CV. Et, en ce moment, s'il n'a pas changé d'avis, il doit appeler Lucas pour lui demander des références.

— Tu es certain de ce que tu fais ? À l'hôtel...

— Alice, je t'en ai déjà parlé. Travailler à Beauvais dans ce restaurant me conviendra très bien. Tu étais d'accord, il me semble ! ce n'est même pas une option de continuer à travailler avec Lucas. Et puis je ne ferais que le midi, ça me permettra d'être un peu plus avec Alba.

    Elle s'incline vers moi et dépose un baiser sur ma joue qui dure plus qu'habituellement. Elle m'assène deux tapes sur le genou et se lève pour prendre son sac et se dirige vers la porte, me laissant seul avec mes pensées.

    Ces deux dernières semaines, après cet au revoir chez lui, ont été un enfer au travail. J'ai mal de ma propre douleur et j'ai mal de ce que je vois dans ses yeux chaque fois que je le croise. C'est insoutenable, et c'est moi qui dois partir. Pour rien au monde je ne laisserais Lucas être obligé de fuir à cause d'une relation qui a mal tourné.

— Je regrette Roman, me lance-t-elle en revenant.

— Ne t'inquiète pas, Alice, tout ira bien.
   
Elle n'insiste pas et me fait une accolade avant de partir pour de bon en secouant la tête.
    Je comate sur le canapé après avoir mis Alba au lit sous l'effet des analgésiques.

    Le lendemain matin, je suis mal à l'aise dans la cuisine du restaurant. Plus que je ne l'ai jamais été. Je n'étais même pas conscient de connaître Lucas aussi bien. Quand je le vois, je comprends à son expression qu'il sait que je m'en vais. Que les jours à venir seront mes derniers dans cet hôtel.
    Je n'ai même pas réfléchi au fait que mes collègues vont me manquer. Toutes les capacités qu'il me reste pour penser que je vais les regretter, sont focalisées sur lui. Le chef.
  
Bref je dois tenir la journée sans me mettre à chialer.

— Roman !

    J'ouvre la portière de ma voiture quand le son de sa voix parvient à mes oreilles. J'expulse l'air de mes poumons que je n'étais même pas conscient de retenir. Je me retourne lentement, en attente.

— Lucas...

    Je suis incapable d'en dire plus. D'abord, parce que je ne sais pas ce qu'il me veut. Mais j'imagine qu'il souhaite me parler du coup de téléphone qu'il a dû recevoir de la part de monsieur Lasserre.

— Je n'allais rien te dire. J'allais... j'allais te laisser partir, tu sais. Je ne t'ai pas menti le jour où nous nous sommes dit au revoir. Je comprends que cette famille que tu t'es créée est le plus important pour toi. Je comprends que voir grandir Alba est ta priorité. Je sais que ce que tu vis est difficile. Mais moi... Il passe les mains sur son visage. Je vois ses yeux briller et ça me fend le cœur. Ne pars pas s'il te plait. Ne pars pas.

— Lucas, nous en avons déjà parlé. Je ne peux pas...

— Je t'attendrai !

— Comment ?

— Je t'attendrai. Le temps qu'il faudra. Si tu veux vraiment être avec moi et tu croies que... que nous pouvons avoir un futur, j'attendrai que tu sois prêt.

— Je n'ai pas le droit de te demander ça, Lucas.

— Tu ne me le demandes pas. C'est moi qui te le demande. Le jour où tu voudras franchir le pas, je serais là, à t'attendre. Tout ce que je te demande c'est de me promettre qu'un jour je pourrais faire partie de tout ça. De ta famille. De ton monde et partager ce que tu as avec Alba. Si tu le veux bien.

    Je le fixe ahuri.

— Faire partie de ma famille ?

— L'idée te paraît si horrible que ça ?

    Il fronce un sourcil. Il n'a même pas idée d'à quel point il a mal interprété ma réponse.

— Ça ne te paraît pas horrible de faire partie d'une famille dans laquelle les gens ont à peine une quarantaine d'années, mais où il y a déjà 3 enfants ? Tu n'as pas peur de supporter un vieux grincheux qui vit dans la peur de perdre sa petite fille ? Tu n'as pas peur d'une enfant de 4 ans et de ses caprices ? Parce que si l'idée ne te fait pas paniquer, nous avons perdu un temps précieux !

    Je le regarde, dans l'expectative. À la recherche sur son visage du moindre signe de faiblesse. Parce qu'il faut être réalistes, à notre âge, les gens veulent profiter de leur liberté. De voyager ou de faire des choses qu'ils n'ont pas eu l'occasion de faire quand ils étaient jeunes. Moi, pour l'instant, je suis coincé avec Alba.

— Qu'est-ce que tu me proposes, Roman ?

— De venir t'installer chez moi. Si tu n'as pas peur de te retrouver avec une gamine qui viendra de temps en temps squatter notre lit !

— Mais...

— Il y a une clé, je le coupe. Et Alba ne vient dans ma chambre que de temps en temps, mais nous pouvons encore descendre le pourcentage.

    Je sais que je parle vite. Pas un seul instant, je n'imagine que ce soit possible, mais maintenant que je touche du doigt l'idée qu'il puisse accepter ça, je suis terrorisé à l'idée qu'il m'échappe.

— Tu as 59 ans. Je comprends que tu veuilles la même chose à laquelle nous aspirons tous à notre âge. La liberté, un appartement avec les commodités de la ville, enfin... Mais bon sang, s'il y a une chance sur un million pour que tu sois disposé à venir t'installer avec moi... moi, mon Dieu... Je suis pour !

    Je me tais, parce que ma voix s'entrecoupe. Un mélange de nervosisme et d'émotion. Je ne veux pas me donner en spectacle. Mais je sais que je suis sur le point de verser une larme, comme si, tout à coup, toutes les tensions que nous supportons depuis des semaines voulaient se liquéfier à travers mes yeux. Lucas s'approche et passe sa main dans mes cheveux, me demandant silencieusement avec cette caresse de me calmer. Les mots sont inutiles parfois.

— Je suis disposé à ça et à beaucoup plus avec toi, Roman.

    En ce moment, je me sens compris et j'ai envie de pleurer. Ou le serrer contre moi. Non, en réalité, ce que je veux, c'est l'embrasser, jusqu'à ce que ma langue reconnaisse chaque recoin de sa bouche. Je veux qu'il sache qu'en quelques mois, il est devenu lui aussi quelqu'un d'indispensable à ma vie.

    Il prend mon menton entre ses doigts, m'obligeant à affronter son regard.

— Je ne sais pas ce que tout le monde veut, murmure-t-il près de ma bouche. Mais je sais ce que je veux, moi. Et moi, je vous veux, toi, et Alba. Ma maison est là où tu seras.

L'Aube de ma vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant