2 L'ATTENTE
Deux semaines se sont écoulées depuis que je me suis rendu à la mairie avec Paul reconnaître l'enfant qui est censé faire partie de ma vie. Deux semaines pour m'occuper des affaires « techniques ». J'ai acheté et fait livrer à mon appartement en urgence des vêtements de couleur neutre, un doudou blanc avec une tête de lapin, et des meubles aussi blancs que le reste. Un lit à barreaux, une table à langer, et un fauteuil à bascule. Tout ça avec l'aide de Paul et de la petite vendeuse qui m'ont bien aidé. Ah ! et des biberons, un stérilisateur et des couches aussi. Ça, je sens que ça va être folklorique. Il va bien falloir que je le change, ce bébé.
Heureusement que l'appartement est très grand et dispose de trois chambres. J'ai naturellement choisi la plus proche de la mienne. Les murs sont blancs aussi et il n'y a aucune décoration, mais comment choisir si je ne connais pas encore le sexe de ce petit bout ? De toute manière ce n'est pas nécessaire, j'ai prévu de partir d'ici. Enfin... j'avais prévu de m'installer en banlieue dans une petite maison de campagne que j'ai achetée en viager. Maintenant, tout est remis en question.
Je reste debout devant la porte de la chambre qui accueillera bientôt le petit être qui va devenir la personne la plus importante de ma vie. Ma famille. Une vraie. Celle que je n'ai jamais eue. Je me surprends à me remémorer ce passé triste que j'ai réussi à laisser derrière moi. J'ai construit ma vie autour de quelques amis, et de la start-up que nous avons créée il y a sept ans avec mon associé, Evan Grey. Un Anglais, ancien décorateur d'intérieur dans son pays, et installé en France depuis quelques années. Notre affaire spécialisée dans l'événementiel marche très bien.
J'en avais assez de courir la France avec mon véhicule pour vendre aux dentistes les derniers équipements de leurs cabinets. Grâce à cette réussite, j'ai pu acquérir l'appartement dans lequel j'ai vécu avec mon compagnon pendant 27 ans et lui racheter sa part. J'ai acquis aussi celui qui jouxtait le nôtre pour agrandir mon espace de vie. Un appartement qui a pris une certaine valeur en peu de temps et qui va me rapporter une jolie plus-value, si je m'en sépare un jour. Je vis dans le marais. C'est ici que nous avons vécu heureux et tranquilles sans nous cacher des voisins pour mener la vie simple d'un couple comme les autres. Parce que si aujourd'hui, vivre avec un homme passe un peu mieux aux yeux de la société, moi, j'ai connu les années où les homosexuels étaient désignés comme des pestiférés. D'ailleurs, ce quartier était presque un ghetto d'après-guerre où une bonne partie des gays se parquaient pour vivre en paix. Ils étaient plus libres, et en sécurité à l'époque. Aujourd'hui, même ici, les choses se sont compliquées.
Je m'installe sur mon canapé et mes pensées reviennent vers Tristan. Quand nous nous sommes connus j'avais 17 ans et lui 18 à peine. Nous étions jeunes, beaux et n'avions peur de rien. Je me souviens de cette journée comme si c'était hier. Je faisais du vélo derrière la petite forêt qui sépare Viroflay de Vélizy, lui promenait son chien. Nous vivions dans la même ville, mais ne fréquentions pas le même lycée. Il était issu d'une famille de notaires aisés, alors que moi je voguais d'une famille à l'autre. Deux opposés en tout. Deux âmes sensibles néanmoins qui s'étaient rencontrées au moment opportun.
Sa famille de notables vivait à l'affût du qu'en-dira-t-on, alors que moi, j'étais plutôt libre de mes décisions, considérant que je n'avais de comptes à rendre à personne. J'étais relativement bien dans les familles qui m'accueillaient, mais je savais que les Dulamon seraient la dernière famille d'accueil chez qui je resterais. À mes 18 ans, je devrais intégrer un studio pris en charge par l'état et vivre avec la petite somme qu'ils m'octroieraient pour mes dépenses courantes. Mais surtout, je devrais supporter un tuteur qui frapperait à ma porte quand bon lui semblerait pour contrôler les résultats de mes études et de ce que je faisais de l'argent qu'ils me remettaient. Mille francs pour mes dépenses courantes et ils prenaient en charge le loyer. Je me disais que s'ils devenaient trop envahissants, je chercherais un job, et me débarrasserais d'eux à la première occasion. C'est ce que je fis quand je me rendis compte qu'ils débarquaient toutes les semaines pour surveiller ma vie comme si j'étais un délinquant. Je trouvai un emploi dans une boulangerie à temps plein et prenais le petit train le soir pour suivre une formation de commercial à Versailles.
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L'Aube de ma vie
RomantizmA 52 ans, normalement, rien ne prédestine un homme à devenir papa... Et pourtant... Quand la femme avec laquelle il n'a passé qu'une seule nuit, l'appelle huit mois plus tard et lui annonce qu'elle est enceinte, dans la tête de Roman, c'est un cauch...