ROMAN
Je m'installe à l'extérieur et m'assieds sur une chaise de jardin, emmitouflé dans mon blouson. Il fait frais, mais la journée est ensoleillée. Tout est silencieux, trop silencieux. Mon regard se tourne machinalement vers la maison un peu plus loin. Ce dimanche midi, le restaurant était calme, les vacances sont là, et avec elles les départs. Le bruit caractéristique de la moto qui arrive sur le chemin goudronné un peu plus loin m'annonce que Lucas a enfin posé son tablier de chef. Ce type est un acharné, méticuleux au possible. Je lève la tête et ferme les yeux pour laisser le soleil me caresser le visage.
Alice a réussi à avoir quelques conversations "privées" avec lui. Elle me tarabuste avec Lucas depuis quelque temps. Il est possible, que depuis, je fasse en sorte de me retrouver près de lui le plus souvent possible. Et il se peut, que de temps en temps, j'imagine comment pourrait être la texture de ses cheveux longs perdus entre mes doigts pendant qu'il serait agenouillé entre mes cuisses. Cela fait trop longtemps que je me passe des plaisirs de l'existence, comme si ceux-ci n'étaient réservés qu'aux jeunes !
Je n'ai jamais songé depuis l'arrivée de ma fille à me permettre une relation suivie. Je ne sais pas s'il existe un homme d'à peu près mon âge qui serait disposé à supporter une petite fille aussi jeune et en demande d'attentions. Aucun, je suppose. Au souvenir que Lucas s'est procuré mon numéro de téléphone avant qu'Alice ne parte en vacances, un fourmillement agréable se concentre dans mon entrejambe. Le mécanisme masculin se met insidieusement en marche. Bref, je ferais mieux de penser à des choses plus sensées.
Le timbre de la porte résonne dans l'entrée quelques heures plus tard alors que je m'apprête à remplir la gamelle du chat qui dort paisiblement sur le canapé. Depuis le départ d'Alba, il ronfle comme un bienheureux. Je suis certain qu'il est soulagé de ne plus la voir dans les parages. Cela lui évite les séances de brossage auxquelles il ne tient pas trop.
J'ouvre la porte sans cérémonie et me retrouve devant un Lucas qui repose de tout son poids sur une épaule contre le chambranle. Il décroise les jambes pour se redresser et sort les mains des poches de son blouson.
— Je viens voir à tout hasard si tu étais d'accord pour m'accompagner dîner à Beauvais.
Je reste à le regarder quelques secondes, un peu hébété.
— Tu me prends de cours... je ne suis pas prêt, lui dis-je en montrant mon pantalon de jogging et mon tee-shirt un peu délavé.
Je pense que je ne suis pas habillé pour me montrer devant qui que ce soit. J'ai la dégaine de quelqu'un qui vient de faire le ménage à fond.
— Je t'attends ! va te changer Beauvais n'est pas si loin. Nous avons le temps. Demain c'est notre jour de repos et d'après ce que j'ai compris ta fille est partie, donc tu n'as aucune excuse !
Je hoche la tête. Ce type me déstabilise, mais ce n'est pas comme si j'avais autre chose à faire, n'est-ce pas ? Je lui fais signe d'entrer et l'invite à s'asseoir d'un geste de la main, puis je file vers la salle de bains prendre une douche rapide. Je m'habille d'un pull chaud et d'un jeans noir et reviens dans le salon où je le trouve face au buffet devant les photos d'Alba. Il lève la tête dans ma direction en entendant le bruit de mes pas lourds sur le parquet.
— Ta fille est vraiment quelqu'un !
— Tu l'as remarqué toi aussi ?
Il lâche un petit rire bas. Je suppose qu'elle a dû lui raconter pas mal de choses parce qu'elle ne garde rien pour elle.

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L'Aube de ma vie
RomanceA 52 ans, normalement, rien ne prédestine un homme à devenir papa... Et pourtant... Quand la femme avec laquelle il n'a passé qu'une seule nuit, l'appelle huit mois plus tard et lui annonce qu'elle est enceinte, dans la tête de Roman, c'est un cauch...