ROMAN
Les horaires au restaurant se réorganisent avec la nouvelle année. Lucas et moi sommes sortis dîner 2 fois avec Alba. Les fêtes sont passées et je l'ai invité à se joindre à nous pour le réveillon du jour de l'an. Je me rends compte que nous passons beaucoup de temps ensemble, toute la journée au travail, et aussi quelques soirées. La petite l'adore, mais le pire (enfin pour mon ego), c'est qu'elle l'écoute. L'autre soir, elle a ramassé tous ses jouets étalés dans la salle à manger et les a rangés dans sa chambre sans rechigner. Un exploit ! J'ai quand même les boules parce qu'il m'a regardé avec un sourire satisfait.
Nous discutons de choses et d'autres jusqu'à tard quand elle est au lit. Nous arrivons au travail avec des cernes et nos collègues nous regardent du coin de l'œil avec un air entendu.
Entendu de quoi ?
Je ne comprends pas très bien ce qu'il se passe. Lucas me plait, oui, mais en dehors du fait qu'il connaît Alice parce qu'elle est notre employeuse, je ne lui ai jamais présenté Paul. Je n'ose pas le faire, j'ai peur de franchir ce pas. Et ne suis même pas certain qu'il le souhaite lui non plus.
Je pense avoir accompli mes rêves à mon âge, même si c'est un peu tard pour en profiter réellement. Des rêves qui ne sont pas différents de ceux qu'ont la plupart des gens. J'ai abandonné un travail bien payé et un superbe appartement à Paris, ainsi qu'une vie tranquille pour me consacrer à la chose la plus importante. Ma petite fille. J'aspirais quand j'avais 20 ans à voyager de par le monde, gagner des montagnes d'argent. Aujourd'hui, mes souhaits sont tout autres. Une vie tranquille, simple et me maintenir en forme pour la voir grandir.
J'ai calculé que si elle faisait des études plus tard, au mieux, elle aura 24 ans quand elle sera financièrement indépendante. Moi, j'en aurais 79. Quand je pense à cela, j'angoisse. Je ne la verrai peut-être pas se marier un jour et ne connaîtrais pas mes petits-enfants. Du moins, j'ai peu de chance que cela n'arrive. J'ai placé l'argent de la vente de mon appartement sur un compte à son nom pour payer ses études et lui assurer un avenir au cas où. Parce qu'à mon âge, il s'agit d'être prévoyant.
Tout ce que j'ai toujours voulu, je l'ai. Une maison dans laquelle je rentre tous les soirs et que je peux appeler un "foyer" et la famille qu'Alice et Paul nous ont offerte. Nous nous sentons respectés et protégés de la solitude grâce à eux.
Je suis heureux, voilà le mot. Du moins, je le crois.
Malgré cela, il me manque quelque chose. La compagnie de quelqu'un. Un enfant ne remplace pas tout, malheureusement. Si j'ai la chance de vivre très vieux, Alba fera sa vie et je me retrouverais seul.
Mais suis-je disposé à me remettre dans une histoire à deux ?Une musique entre rock et folk sort du juke-box que j'ai acheté dans une vente aux enchères et dans lequel j'ai chargé des Vinyles des années 60 que j'adore. Cette musique est un peu dépassée, mais moi je suis accro à Dylan, aux Moody Blues et à tous ces artistes aujourd'hui disparus.
J'aime aussi les années 80 qui ont bercé mes jeunes années. Rien ne vaut cette époque plutôt heureuse pour moi. J'ai pu prendre mon indépendance en me libérant des services sociaux. Une époque douloureuse aussi pour la communauté LGBT dont je faisais partie.
Ce soir, comme souvent depuis quelques semaines, nous sommes assis devant une tasse de décaféiné. Lucas s'est épanché un peu et m'a parlé de sa famille. Je suis surpris d'entendre qu'aucun d'entre eux ne lui manque. Apparemment, cela fait longtemps qu'il a assumé que personne ne l'acceptait tel qu'il était. Moi, je lui raconte que mon coming out n'a pas été nécessaire, puisque la famille, justement, je n'en ai jamais eu. Pour la communauté gay, une situation comme la mienne avait ses avantages et ses inconvénients.
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L'Aube de ma vie
RomanceA 52 ans, normalement, rien ne prédestine un homme à devenir papa... Et pourtant... Quand la femme avec laquelle il n'a passé qu'une seule nuit, l'appelle huit mois plus tard et lui annonce qu'elle est enceinte, dans la tête de Roman, c'est un cauch...