Chapitre 3

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                             L'AUBE DE MA VIE

   

    Paul fait les cent pas dans le hall de la clinique face au distributeur de boissons. Je le regarde aller et venir comme un robot. Ce n'est pas lui qui va être papa, mais depuis qu'il est arrivé un peu plus tôt me tenir compagnie, il semble encore plus énervé que moi. Heureusement qu'il est présent, sinon, je serais encore plus perdu que je ne le suis déjà.

    Cinq cafés, un sandwich et mille pas plus tard, la sonnerie de mon téléphone retentit. Dans l'énervement, il glisse de mes mains et tombe. Bon sang de bonsoir ! Je le récupère et prends l'appel.

— Monsieur Vincent ? Le moment est arrivé, vous pouvez venir.

— J'arrive !

    Je lance un regard à Paul qui presse mon épaule avant de s'installer dans un fauteuil. Je ne remercie même pas la sage-femme que j'ai reconnue à l'autre bout du fil.

— Ça y est, lui dis-je en rangeant nerveusement le téléphone dans la poche de mon pantalon.

— J'ai compris Roman, me répond-il en souriant. Tout va bien se passer. Je ne sais pas si j'étais dans le même état que toi quand Emy est née, mais rien que de te voir, j'ai la pression.

    Je hoche la tête, inspire un grand coup.

— Tu vas rester là à attendre ?

— Non, je retourne au cabinet. Appelle Alice pour lui donner des nouvelles sinon elle va s'inquiéter.

    Alice, son épouse est propriétaire d'un restaurant dans le village où j'ai acheté ma petite maison de campagne à une heure de Paris. Pour être franc, j'avais besoin d'avoir un endroit pour me reposer après une semaine de fou à la capitale. Et après notre séparation avec Tristan, je n'ai pas réfléchi et j'ai sauté sur l'occasion qui s'est présentée. Une jolie maison en torchis avec les pans de bois peints en bleu, typique de la région dans un hameau de Gerberoy. Alice est une femme extraordinaire qu'il a rencontrée quelques années après un divorce douloureux et qui prend soin de tout le monde. Y compris de moi. Emy, c'est leur petite fille de sept ans dont je suis le parrain. J'adore faire la cuisine, et quand j'ai le temps, le week-end, j'aime bien regarder et donner un coup de main à son chef cuisinier.

    Je longe le couloir qui mène au service maternité. Une femme habillée de rose qui attend face à une grande porte me fait un signe de la main. Je me précipite vers elle.

— Vous êtes monsieur Vincent ?

— Oui, c'est moi, réponds-je avec un filet de voix tant je me sens mal.

— Suivez-moi, je vais vous donner de quoi vous habiller. Tenez, enfilez une blouse, un bonnet et les protège chaussures, ensuite vous entrez dans la salle d'accouchement.

    Dans l'affolement, j'enfile la blouse à l'envers. Tant pis, elle reste telle quelle, je lace le cordon autour de ma taille, chaussures, masque et bonnet. Puis, je pousse la porte.

    Bianca est nue, étendue sur un lit, jambes coincées sur des étriers. Elle hurle en invectivant le gynécologue qui lui demande de pousser et qui reste stoïque face à ses plaintes.

— Approchez Mr Vincent, venez voir naître votre enfant, me lance la sage-femme qui se tient à ses côtés.

    J'avance lentement. Pour ne pas partir en courant. Il paraît que ce moment est fabuleux pour les papas. Pour moi, il n'a rien de magique. Je n'y étais pas préparé. Je suis presque gêné de voir la mère ainsi exposée et en souffrance. Mais j'avoue que j'ai peur aussi. Je ne m'étonne plus à cet instant quand les femmes considèrent l'enfant qu'elles ont porté comme le centre de leur vie. Rien que de voir ça, je comprends. Après une dernière poussée, une tête apparaît, puis un petit corps fripé, avec de petites jambes recroquevillées. Et ses pieds ! mon Dieu, ses pieds ! Le gynécologue donne mon enfant à la sage-femme qui le prend dans un petit drap avant de le poser sur le ventre de Bianca en me tendant une paire de ciseaux.

L'Aube de ma vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant