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J'essaie de distinguer les émotions qui passent sur son visage mais la pénombre de la ruelle ne m'aide pas du tout. Je la regarde faire les cents pas comme un lion en cage, elle se bat et se débat à l'intérieur d'elle même et ce combat semble terriblement violent.
Soudain, elle s'arrête.
Je sens la peur me tordre les tripes.
Elle se tourne vers moi, ses épaules se soulèvent dans une longue inspiration et le premier mot sort de sa bouche.

-d'accord... Je...je préfère qu'on ne se voit plus car je vais te faire souffrir, je vais finir par te faire du mal et je n'ai pas envie de ça. Je ne suis pas quelqu'un pour toi. Tu mérites une personne qui puisse t'aimer et te rendre heureuse, moi je ne peux pas. Voilà pourquoi je te fuis. Je te protège.

Non ! Mais non ! Pourquoi elle dit ça ? Pourquoi elle me ferait souffrir ? C'est pas la première fois qu'elle avance cet argument. Je ne comprends pas. Et puis pour quelles raisons, elle ne pourrait pas me rendre heureuse ? Puisqu'elle le fait déjà ... Me protéger ? Me protéger de quoi ? d'elle ?
Je ne comprends pas. Je ne comprends rien. Ses mots résonnent dans ma tête, j'entends sa détermination, mais il n'y a pas que ça. Qu'est ce qui se cache derrière tout ça, de la souffrance ? De la peur ?

- en me fuyant tu me protéges?

- oui

- et... Tu me protèges de quoi? De toi ?

- oui

- pourquoi tu penses que tu vas me faire souffrir ?

- ......

- pourquoi tu ne serais pas quelqu'un pour moi ?

- parce que

- tu dis que tu ne pourrais pas me rendre heureuse mais je suis pas d'accord... Tu me rends déjà heureuse, je sais que c'est possible.

- si tu le dis...

J'entends mon coeur se fissurer, waouh ...je viens de me prendre le mur Yïvi de plein fouet. Elle est complémentent barricadée, complémentent retranchée.
Il faut que je trouve autre chose.
Il faut... je sais pas, peut être que j'y aille plus en douceur, moins direct, moins frontal.
Je cherche son regard mais lui aussi est insaisissable. Ok, c'en est à ce point.
Je glisse doucement ma main dans la sienne.
Je m'attends à chaque seconde qu'elle la retire mais à mon grand étonnement, elle accepte ce contact.
Je suis soulagée, tout n'est pas perdu.
Je me focalise sur la sensation de ses doigts entremêlés aux miens et je tente une autre approche.

- je ne sais pas pour quelles raisons tu dois me protéger de toi, mais ce que je sais, c'est que je peux entendre beaucoup de choses et je peux comprendre beaucoup de choses. Tu penses sûrement que je ne peux pas faire face à tes blessures, à ton côté sombre mais je sais que je peux y arriver. Je peux et je veux le faire comme tu l'as fait pour moi...

Mes derniers mots flottent dans l'air...
Seul le silence leur répond.
Comme pour la retenir, je ressers mes doigts sur les siens. A cet instant, j'ai peur. J'ai peur de la suite, de ce qu'elle va dire, de ce qu'elle va faire. J'ai peur de la perdre.
Je guette la moindre de ses réactions, et comme tout à l'heure, le combat fait rage dans sa tête.
De secondes en secondes, je vois le vert de ses yeux s'assombrir. Je n'aime pas du tout ça. Son regard, presque devenu noir, se plante dans le mien et me transperce comme des dizaines de lames.

- tu veux savoir pourquoi je vais te faire souffrir ? Et bien, t'inquiètes pas tu vas comprendre....

J'ai pas le temps de prononcer un mot qu'elle m'entraîne à l'intérieur du bar. La musique assourdissante me provoque un vertige et la peur irradie dans tout mon être. Sa main toujours dans la mienne, elle me fait slalomer entre les clients jusqu'à la piste de danse.
Soudain, ses doigts s'échappent des miens et malgré la chaleur de l'endroit, le froid du vide s'incruste dans chaque cellule de mon corps. Je commence à la suivre quand je la vois s'approcher d'un peu trop près de la brune de tout à l'heure. C'est la panique à bord ... Mon coeur s'arrête, mes neurones sont en ébullition et mes yeux deviennent assassins. Les mains d'Yïvi se posent sur les hanches de l'AUTRE qui lui offre un sourire écoeurant.
Elle remonte ses doigts jusqu'au visage de la brune, elle pose ses levres et l'embrasse passionnément.
Je vais gerber ! C'est pas possible ! Je sens que je perd pied ! De nouveau un vertige me fauche, le choc sûrement et puis la colère vient dopper mon corps.
Je fonce comme une furie mais le temps que j'arrive, Yïvi s'est évaporée.
Au passage je bouscule la brune indésirable qui s'écrase la tête la première au sol. Bingo !!!!
Je la cherche, je guette les boucles brunes sur la piste de danse, mais rien. Mes yeux passent furtivement sur le bar, puis demi tour. Lorsque mon regard revient sur ses pas, je sens la bile remonter, mon estomac se soulève, je suis à deux doigts de la vomir au milieu des clients. Penchée sur le bar, elle lèche la poire de l'autre P.... de Marie. Là... C'en est trop ! Je sors du bar avec fracas, je n'ai même pas besoin d'enfoncer mes deux doigts dans ma gorge, que je gerbe toute ma colère. Des larmes de rage ravage mon visage. Dans mon cerveau, ce n'est plus Bagdad ou Hiroshima, c'est l'apocalypse.... Putain !!! Pourquoi elle a fait ça ? Pourquoi ?
Mon corps tremble de partout. J'ai besoin de calme. Je m'avance jusqu'aux berges de la Garonne et je m'assoie sur le rebord. Petit à petit la colère fait place à la peine. Elle brise une par une, les cellules de mon corps et réduit mon coeur en miettes. Les larmes s'arrêtent, la nausée disparaît, il ne reste plus que le même silence angoissant qui retentit après un tsunami.

La Morsure Du DésirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant