Eren claqua sa portière et démarra le moteur. Il chercha fébrilement dans sa poche une pastille de menthe pour chasser le goût qui lui restait dans la bouche. Les phares éclairèrent la route détrempée. Il s'obligea à se concentrer sur sa conduite. S'arrêter aux feux rouges, respecter la limitation de vitesse. Tout était prétexte pour ne pas penser à ce qui venait de se passer. C'était fait. Les mains crispées sur le volant, il regarda droit devant lui.
Le va-et-vient régulier des essuie-glaces se mêlait au crépitement de la pluie sur le toit. Une musique dure qui complétait à la perfection cette soirée. Il aurait dû la passer à rire avec Livaï. Il aurait dû faire quelque chose qu'il avait envie de faire, mais Keith avait tout fichu. Un simple coup de téléphone, et il avait dû renoncer à ses plans. C'était sa faute s'ils avaient perdu un de leurs meilleurs clients, du moins c'était ce qu'il disait.
Il fallait qu'il tienne encore vingt-quatre jours, et ensuite quoi ? Il passa la main sur son visage et eut une nausée. Le reflux arriva si vite qu'il eut du mal à ravaler la bile. Il déglutit péniblement et écarta sa main et l'odeur de sexe qui lui collait à la peau. Il fallait qu'il se lave. Il était sale à en vomir. L'image des deux hommes en train de le baiser passa devant ses yeux comme un flash. Il claqua des dents et monta le chauffage pour essayer de dissiper le froid glacial qui l'habitait. Les parties à trois étaient mieux payées. Il avait touché un joli paquet ce soir. Il essaya de s'en convaincre mais en réalité chacun de ses rendez-vous devenait une torture. Ce Livaï Ackerman l'avait cassé.
Il n'arrivait plus à jouer la comédie ni à se mettre en condition à moins d'avaler ces saletés de pilules bleues. Seule l'intensité de ces érections médicalement provoquées lui permettait de parvenir à ce dédoublement qui lui permettait de faire son travail. Une réaction purement mécanique qui n'avait rien à voir avec le désir, mais elle se retournait contre lui quand il tombait sur des salopards comme ce soir. Des hommes qui trouvaient drôle de refuser de le laisser jouir. Ils l'avaient amené au bord de l'orgasme, ils avaient pris leur plaisir et ensuite ils l'avaient flanqué dehors en se tordant médiocrement de rire.
Le chaos régnait dans son esprit. Autrefois, il savait où était sa place il faisait son travail et il était content de sa vie à défaut d'être heureux. Puis cet homme maintenant entré dans sa vie était apparu et il avait brisé sa carapace. Il avait détruit son fragile équilibre et il lui avait montré à quel point tout ce qu'il avait construit avait été vain et vide. Le brun glissa une main tremblante dans ses cheveux et résista à l'envie de toucher son sexe douloureux. Ce serait encore pire. Une douche, se finir rapidement et dormir, il n'aspirait à rien d'autre.
Le soulagement l'envahit quand il entra enfin dans la résidence. Il traversa toute la zone en pilotage automatique, tournant dans les allées, freinant mécaniquement avant chaque ralentisseur. La vue de son appartement fut comme une délivrance. Il était sauvé. Il rentrait chez lui, indemne. C'était toujours une forme de victoire. La pluie zébrait le halo jaune pâle des plots d'éclairage qui jalonnaient l'allée. Leur lumière était brouillée mais suffisante pour dessiner les contours de la grosse voiture noire garée sur l'emplacement réservé aux visiteurs.
Il retira brutalement son pied de l'accélérateur, les mains agrippées au volant dans une vaine tentative pour retarder l'inéluctable. La voiture de Livaï. Qu'est-ce qu'il foutait ici ? Il ne voulait pas le voir. Pas maintenant. Par pitié, pas maintenant ! Il n'était pas prêt. Pas avec l'odeur d'autres hommes sur son corps. Pas alors qu'il était sale, humilié.
Il passa devant la voiture mais refusa de tourner la tête vers lui. Il ne devrait pas être là. Cette pensée réveilla sa colère. Elle referma la blessure béante qui saignait au fond de lui et lui permit de trouver cette distance protectrice qu'il utilisait avec ses clients, et avec tout le monde, depuis des années.
C'était sa vie. C'était ce qu'il était. Si on ne lui laissait même pas cette liberté-là, alors il n'était vraiment rien. La pluie formait un rideau opaque à l'extérieur de son garage, l'empêchant de distinguer l'intérieur de sa voiture, mais celui-ci était assis derrière le volant, il en était certain. Il se détourna pour fermer la porte et entra chez lui. Avec un peu de chance, il allait repartir. Comprendre qu'il ne voulait pas le voir, qu'il avait besoin d'être seul.
Il posa son téléphone sur le comptoir de la cuisine, glissa une autre pastille de menthe dans sa bouche et se dirigea vers l'escalier. On tapa à la porte avant qu'il ait posé le pied sur la première marche. Il ferma les yeux, agrippa la rampe et pria pour que Livaï s'en aille. On frappa de nouveau.
Était-ce qu'il voulait ? Le voir dans cet état ? Brisé, avili, souillé ? Brusquement, mû par la rage, il fit demi-tour. Ses émotions refluèrent, et il plaqua un masque froid et arrogant sur son visage tandis qu'il tirait le verrou. Il ouvrit la porte d'un geste brutal et découvrit ce qu'il s'attendait à voir : Livaï.
La pluie avait laissé des marques humides sur sa veste, son jean et ses cheveux. Ses mains étaient enfoncées dans ses poches, son expression aussi indéchiffrable que le soir de leur rencontre.
Eren plongea son regard au sien.
« Tu veux quoi ? » demanda-t-il froidement.

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Sous ton emprise...
FanfictionQuand les mots qu'il s'était interdit de souffler franchirent ses lèvres, Livaï Ackerman ressentît un étrange sentiment, une folie dangereuse, car l'homme qui lui arracha cet aveu n'est pas n'importe qui, mais un homme dont l'érotisme éveillera en l...