Chapitre cinq :

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« Tu es sûr ? »

Eren ne put dissimuler son incrédulité.

« Évidemment, répondit son interlocuteur d'un ton agacé, il te veut toi, toi et personne d'autre. »

Livaï voulait un deuxième rendez-vous avec lui ! Jamais il n'aurait imaginé que ce soit possible. Le fiasco de leur rencontre ne lui avait pas suffi ?

« Il n'a pas donné de précision ? »

« Seulement la date et le lieu. »

Il entendit le cliquetis d'un clavier d'ordinateur.

« Tu es libre mardi ? »

Il pouvait décliner. L'homme venait soudainement de lui fournir un merveilleux prétexte tout trouvé.

« Tu es vraiment certain qu'il s'agit bel et bien du même qu'il y a un mois ? » s'assura-t-il.

« C'est quoi ton problème ? »

Le brun grimaça. Chaque fois qu'il l'entendait parler de cette façon, il avait l'impression qu'on lui enfonçait un pic à glace dans l'oreille.

« Ce type veut vraiment te revoir alors ramène tes fesses sales là-bas à l'heure dite et fais ce qu'il veut que tu fasses. Compris ? »

Il faillit riposter mais se mordit la langue et garda sa réplique cinglante pour lui. Il fallait qu'il tienne encore quatre-vingt-neuf jours, seulement.

« Pas de soucis. Autre chose ? »

Sa voix posée ne laissait passer aucune émotion.

« Tu as un client vendredi. »

« Je sais. »

« Donne-moi plus d'infos sur ce Livaï. »

Eren ne répondit pas. Hors de question de livrer à l'agence le moindre renseignement sur ses clients. Ces méthodes d'inquisition avaient commencé quand cet homme avait repris l'affaire, il y avait de cela trois ans. Depuis qu'il était le patron, le climat s'était dégradé. L'agence était devenue une usine où les employés devaient faire du chiffre et se taire. Il n'était rien d'autre qu'un proxénète qui engageait des malabars pour se protéger et mettre les récalcitrants au pas. Raison de plus pour ne pas faire de vagues jusqu'à la fin de son contrat.

« Tu lui as demandé combien ? »

Il touchait la moitié de la somme, plus le pourboire si le client lui en laissait un. Il ricana alors et dit :

« Pour quatre heures ? Trois-cent dix-mille. Je lui avais dit que pour cent-mille de plus il aurait droit à la nuit complète mais il a refusé. »

Eren nota le lieu de rendez-vous et l'heure puis raccrocha. Ainsi, Livaï voulait le revoir ? Il entoura le nom du bar où ils devaient se retrouver et chercha l'adresse sur sa tablette. Un bar de supporters, près du terrain où jouait les équipes de baseball. Un lieu populaire, généralement bondé. Rien à voir avec leur premier rendez-vous, ce qui piquait encore plus sa curiosité. Il finit sa boisson protéinée, rassembla les journaux du dimanche éparpillés sur la table, les jeta dans la poubelle de recyclage et posa son verre dans le lave-vaisselle, puis il prit sa tablette et s'allongea sur le canapé. Une douleur vive lui rappela que son client au club devenait plus violent et sadique qu'il n'était prêt à le tolérer. Il avait eu recours au fouet pour la première fois la nuit dernière. Rien d'insoutenable mais il faudrait qu'il redéfinisse les règles avant de se prêter de nouveau à ce jeu. Il s'adossa aux coussins et appuya ses pieds sur la table basse en évitant de bouger. Les marques avaient intérêt à disparaître avant son rendez-vous avec le noiraud. Les clients n'aimaient pas qu'on leur rappelle qu'ils avaient affaire à un professionnel, même s'ils payaient ses services. Une toile vierge leur donnait l'illusion qu'il était leur propriété exclusive et permettait à leur relation d'échapper au sordide.

Le temps de la rencontre, tout au moins.

Il parcourut les journaux nationaux sur internet puis passa aux nouvelles régionales avant d'effectuer une lecture rapide des principales informations politiques. Il termina sa revue de presse quotidienne par les résultats sportifs. Il devait être capable de tenir une conversation sur à peu près n'importe quel sujet d'actualité. Les clients ne voulaient pas d'un imbécile dans un beau corps. Ils payaient cher pour s'offrir du haut de gamme, et il veillait à ne pas les décevoir. Sa lecture terminée, il jeta un coup d'œil à sa galerie de photos. Depuis qu'il en avait parlé à Mina, il avait réfléchi à l'éventualité de faire un métier de ce qui n'était jusqu'ici qu'un hobby. Cela lui semblait un rêve mais le moment était venu de sauter le pas.

S'il n'avait pas signé avec l'agence une clause de non-concurrence pendant une durée d'un an, il se serait mis à son compte sans hésiter, mais il ne doutait pas que cet homme l'obligerait à respecter les termes du contrat, au besoin par la force en lui envoyant ses deux gorilles. Ce ne serait pas facile de renoncer à la sécurité matérielle que lui offrait sa profession, mais la seule idée de travailler cinq ans de plus pour ce fameux patron proxénète le rendait malade. Il tourna son regard vers les photos en noir et blanc suspendues en guirlande dans le couloir. Elles étaient parmi ses préférées. Les rares personnes à les avoir vues les avaient trouvées très réussies. Enfin, c'était ce qu'ils avaient dit, mais ils avaient peut-être seulement voulu se montrer polis avec lui ?

Éteignant sa tablette, il se leva, l'esprit occupé par son prochain rendez-vous. Peut-être pourrait-il l'aider à admettre son homosexualité ? Reconnaître qu'il était attiré par les hommes serait déjà un énorme pas en avant. Non qu'il veuille se mêler de ce qui ne le regardait pas, mais certains de ses clients aimaient se confesser et il n'y avait rien de mal à leur redonner confiance en leur disant ce qu'ils avaient envie d'entendre. Il leur offrait ce qu'ils voulaient parce que il n'était rien d'autre que l'illusion de ce qu'ils désiraient.

Sous ton emprise... Où les histoires vivent. Découvrez maintenant