Le restant de la nuit, je ne suis pas retourné sur ma butte, ou ce qu'il en reste, de peur de le voir. Son dernier cri me retournait dans la tête sans cesse, amplifié par le silence autour de moi. Inconsciemment, j'espérais qu'il s'était juste évanoui, comme si une telle douleur pouvait ne faire que s'évanouir. Retourner auprès de lui briserait ce faible espoir, je le savais, alors j'ai erré entre les baraques pour finir par prendre la plus éloignée de la mienne, restant tout de même caché des gardes au cas où ils me repêcheraient et m'enverraient là où je devrais être. Et là encore, je refusais de réaliser qu'il était parti, que je ne le verrais plus, que c'était terminé, que je ferais ma vie sans lui. Je n'avais que faire de sa prédiction à propos des alliés, cela m'importait bien peu à présent. À quoi bon s'il n'était pas avec moi ?
Ce n'était pas comme ça la première fois. Ce n'est pas normal.
Lentement, la nuit passant, je sentis mes yeux s'assécher, devenir vides, mes gestes brefs et secs comme ceux des prisonniers retenus ici, mon corps cesser de trembler et ma gorge se serrer. Ma cage thoracique me paraissait si froide. Je ne bougeais plus. J'avais l'impression d'être mort, mais je respirais. C'était comme ça d'être comme les autres. C'était triste.
Au petit matin
Je n'ai pas dormi de la nuit, en fin de compte. Au matin, j'ai rejoint ma baraque avant l'heure prévue, comme d'habitude maintenant, regardant la porte pour ne pas fixer le corps que je savais qu'ils n'avaient pas dégagé, pour servir de leçon aux autres j'imagine. Nous sommes partis au rassemblement, l'ensemble des autres prisonniers me jetant des regards en coin, certains avec des sourires mauvais, certains peinés pour moi. Je m'en fiche de toute façon, ils ne me rendront pas mon frère.
Lors du rassemblement, un garde a informé le Général-en-chef, qui a jubilé devant tout le monde, exhibant son plus horrible visage de joie non contenue. Sans attendre, il m'a appelé auprès de lui, sans doute pour me narguer. Moi, je l'ai rejoint sans contester, la dernière fois ils avaient piqué Corentin après tout. Sur l'estrade, je l'ai regardé, attendant les phrases vexantes, les insultes, sans rien dire. Son regard se balada sur moi, les bras ballants et le regard vide. Je savais à quoi je ressemblais, ça résonnait suffisamment fort dans ma cervelle pour que je sois informé de mon état. Lui, peut-être s'attendait-il à ce que je hurle et pleure ma rage, son regard paraissait presque étonné que je ne le fasse pas.
« Je ne sais pas si tu es au courant, railla-t-il en voyant mon apathie, mais ton camarade de lopin de terre a trépassé cette nuit, nous l'avons retrouvé la colonne vertébrale en morceaux. Pourrais-tu nous apporter ton témoignage, si tu sais quelque chose ? Nous parler de ta réaction.
De réaction, je n'en eus d'autre que de le fixer sans rien dire, ce qui l'énerva profondément, après tout qui apprécie se faire ignorer devant trois mille prisonniers ? Certainement pas un chef de camp.
Il leva sa main sans hésiter et me mit un gifle, que j'accueillis sans réagir davantage. Je n'avais pas envie de jouer la victime éplorée.
« Parle !
— Non merci. »
Immédiatement, ma gorge me gratta, souvenir de mes pleurs sans fin de la nuit. Le Général ne l'entendit pas, plutôt préoccupé par les chuchotements outrés des prisonniers qui se demandaient sûrement pourquoi je pouvais lui répondre insolemment sans être puni. Moi-même, cela faisait des années que je ne l'ignorais.
Mort de rage, le Général se mit à m'insulter de tous les noms, frappant là où il le pouvait, me faisant penser à un enfant capricieux qui n'aurait pas obtenu sa sucrerie. Et puis il se stoppa, plaqua sa main sur son cœur et tomba au sol, raide mort. Un soldat me sauta dessus dans la seconde, hurlant des mots que je je tentai même pas de comprendre, fixant le nouveau mort à mes pieds. Que se passait-il ce matin ?
Les détenus qui comprenaient le soldat le contredirent soudain, certains venant sur l'estrade pour le contester de vive voix. Lui dégaina son arme pour les stopper, leur ordonnant à son ton de reculer. Il tira pour la forme sur plusieurs d'entre eux, déclenchant presque une bataille sur l'estrade, où les volontaires venaient lui sauter dessus. Les gardes autour de nous se rapprochèrent immédiatement, calmant les choses à coup de balles et de feu. Sans que personne ne s'en aperçoive, une silhouette sortit du bâtiment de l'administration, subtilisa quelque chose sur le corps du Général et s'enfuit de la même manière, m'emmenant avec elle. Je me penchai, suivant Elisa sans protester.
Je ne retins pas la ribambelle de couloirs qu'elle nous fit traverser, trop concentré sur ses longs cheveux ondulant dans sa démarche, ou ses bras qui se balançaient doucement, l'une de ses mains cachée dans la mienne. Elle m'amena finalement devant une porte qu'elle déverrouilla grâce à la clef volée à feu le Général-en-chef, l'ouvrant sur une petite couchette prostrée contre un mur et une chaise au milieu de la pièce, une table demeurant retournée dans un coin avec une gamelle projetée non loin. Ce devait être sa chambre. La fenêtre en face de la porte était fermée par une vitre sale, derrière laquelle se trouvaient des barreaux solides.
Elle se tourna vers moi, les yeux soudainement embués de larmes, m'enlaçant en disant tout un tas de choses que je ne savais pas comprendre, peut-être des encouragements. L'instant d'après, elle sembla se souvenir que je ne la comprenais pas, et se détacha de moi pour aller chercher un carnet usé dans son lit. Ses mots se firent plus lents, et je n'en saisissait toujours pas le sens, mais j'en avais presque l'impression, grâce à son sourire et ses gestes timides. Elle me le tendit gentiment, et je dus faire appel aux lointaines leçons de lecture que m'avait donné Corentin pour déchiffrer ce qu'il y avait d'écrit en première page, ''À Luc, mon frère''.
Mon regard humide se releva dans le sien, et je l'attirai dans une nouvelle étreinte alors que des voix bourrues se faisaient entendre depuis le bout du couloir.
=_=_=
Bien le bonjour, chères pommes de terre.
Je reçois fort peu de vos retours quant à cette histoire, même pas du tout. N'hésitez pas à me signaler vos questions et mécontentements, je suis là pour cela.
C'est mon travail de conseiller les gens, n'ayez pas peur.
Sur ce,
À demain, Chères pommes de terre historiennes.
Date de la NDA : 02/2021
Date de réécriture : 25/08/2022
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Elle
Historical FictionCeci est un livre sur la deuxième guerre mondiale. Si vous avez peur du sang, des blessures bien détaillées et des violences physiques, ce livre n'est pas pour vous - à moins que vous ne souhaitiez repousser vos limites, ce n'est pas très hard. Les...