Chapitre XII

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Les os et les crânes minuscules dans mes mains, je ne sus quoi commenter. Que dire de plus ? Des squelettes de nourrissons étaient cachés dans la butte sur laquelle je dormais depuis plusieurs nuits. Soit. Je le concède, on n'est à l'abri de rien ici. Mais comment Corentin l'a su, c'est une autre histoire. C'est ma butte, pas la sienne.

Lui, il sanglotait toujours contre moi, et je me demandai à nouveau pourquoi il était si émotif. Il articulait des paroles, des mots, il mélangeait les langues qu'il connaissait pour faire une grande bouillie, et fixait les os dans mes mains, dans la terre qui dépassaient, et je resistai à la tentation de creuser davantage pour savoir combien d'enfants morts se trouvaient sous moi depuis le début, pour préserver mon meilleur ami boulversé. Seulement, un second petit crâne effleurait la surface et je ne pus m'empêcher de le sortir de terre, sous un gémissement de Corentin qui me serra plus fort, pour le comparer avec celui que j'avais déjà en main.

« Corentin ?

- Quoi ? Gémit-il de plus belle en éloignant son corps de mes trouvailles.

- Celui-là est difforme, regarde. »

Je lui tendis le crâne, qu'il repoussa vivement. L'os tomba à terre avec un son creux. Puis, mon ami n'y prêta plus attention, prenant mon épaule pour me tourner vers lui.

« Luc ? Regarde-moi s'il te plaît. »

Je ne m'étais pas rendu compte que je fixais encore le trou. Je m'en détachais aussitôt, coupable, pour orienter mon regard vers lui. Il était assis à terre, en face de moi, les yeux rouges à la lumière du phare, ses mains derrière son dos.

« Je- je suis désolé.

- De quoi ? Relevai-je, suspicieux.

- De... ne pas t'avoir parlé d'Elisa. De t'avoir caché des choses, même si tu avais besoin de les savoir pour aller mieux. Je ne sais pas si tu te souviens, mais il y a quatre ans, j'ai échappé à la surveillance du chef de baraque, et je n'ai pas dormi avec vous. Tu m'avait attendu jusqu'au petit matin, inquiet, et- tu avais peur que je sois mort.

- Tu l'as fait plusieurs fois ça.

- Eh bien... c'était elle que j'allais voir. »

Il se mordit les lèvres, alors que mes yeux s'écarquillaient. Pour de la cachotterie, celle-là était pas mal. Mon cerveau rejoua tous ces soirs sans dormir, épuisé le lendemain, avec Corentin qui me revenait la bouche en cœur, me disant qu'il s'était perdu, qu'il s'était trompé de baraque...

Il se mit à trembler de partout, faiblement, de grosses larmes roulant sur ses joues, mais m'empêchant de l'approcher pour l'enlacer.

« Je m'en voulais tellement, je m'en veux encore tellement, si tu savais, ça me brûle, et je sais que tu dois toujours finir par savoir, parce que tu es mon meilleur ami et que tu es super important pour moi, j'ai besoin de te parler, mais je me souviens toujours que tu es encore un enfant parfois, que tu ne comprends pas tout, tu vois ? Alors il m'arrivait de lui parler à elle, quand je ne voulais pas gâcher le monde que tu portais dans ta tête et dans lequel tu pensais que nous vivions. Ça me faisait si mal de te voir ces lendemains. »

Il pleura encore plus, reniflant bruyamment, essayant pourtant de faire taire ses pleurs.

« Je- je- je sens que c'est bientôt fini Luc, la guerre. Je le sais au fond de moi. »

Un sourire naquit sur mon visage, un sourire fatigué. Oui, ce serait si beau.

« Ce sera dans les jours à venir, le Général-en-chef m'a appelé la dernière fois pour me dire ça. »

ElleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant