Chapitre X

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Le lendemain matin arriva lentement, mes yeux ne pouvant se fermer sans percevoir ceux d'Elisa dans le miroir des douches des gardes, désolés, presque honteux. Au final, je me réveille encore avant les autres, renonçant à me rendormir, regardant le ciel rester sombre à cause du début de l'hiver. Mes camarades sortent de la baraque, je les suis sans discuter, morose. Je passe brièvement devant un thermomètre accroché au mur de planches, il indique moins trois degrés Celsius. Corentin m'a dit une fois que lorsque la bande rouge passe sous le zéro, il risque de neiger. Cette nouvelle ne me rend même pas mon sourire, car dans mon état, je perçois les désavantages avant le bonheur que ce serait d'en voir.

En arrivant dans la cour, Corentin profita du fait que tous les gardes n'étaient pas là pour me parler.

« Alors ? M'aborda-t-il avec un air indéchiffrable. »

Je ne répondis pas, mais ma tête et mon regard en disaient long sur le ressentiment que je lui portais. Il baissa la tête en soupirant.

« Désolé. »

Mon ami avait réellement l'air peiné pour moi, mais je ne ressentais rien de positif à le voir compatir. Je ne comprenais rien.

« Comment tu as su ? Demandai-je simplement, la voix éteinte, complètement illisible. »

Il se mordit la lèvre, gêné. Il articula tant bien que mal, culpabilisant d'avance de me sortir cette réponse :

« Je... ne peux pas te le dire. »

J'avais envie, pour la première fois depuis notre rencontre, de le frapper et de lui hurler dessus. Lui et son intelligence insupportable. Lui et ses secrets. Lui et ses connaissances incompréhensibles.

Le chef de baraque revint vers nous, nous lançant de la fermer avant de se faire repérer. Le Général-en-chef arriva d'ailleurs, ricanant quand le chef de baraque me lança un coup de coude dans les côtes qui me fit grimacer, mais il ne m'appela pas. Les rôles furent distribués, j'irais aux ateliers tandis que Corentin retournerait à l'usine. Les groupes se formant lentement, je lui demandai, pensant subitement à sa santé malgré le ressentiment que je lui portais :

« Comment va ton bras ? »

Il haussa les sourcils, ne s'attendant pas à ce que je lui parle aussi gentiment.

« Je me sens super faible, mon coude a beaucoup gonflé. Honnêtement, pouffa-t-il alors qu'il n'y avait rien de drôle, j'ai du mal à me tenir debout, j'ai eu une petite baisse de tension hier soir qui m'a terrassé. »

Je le regardai, comprenant de quoi il parlait. Cela nous était arrivé de nombreuses fois depuis le temps, mais dans son cas cela m'inquiétait plus qu'autre chose.

« Je ne passerai pas la semaine, lâcha-t-il en marchant vers son groupe qui l'attendait. »

Je remarquai qu'en effet il boitait, sa jambe traînant légèrement derrière lui, ayant du mal à se plier.

Il ne boitait pas la dernière fois qu'il était malade, me dis-je en cherchant dans mes souvenirs de quatre ans plus tôt. Il était très faible et ne pouvait plus rien faire, mais il ne boitait pas. Il me l'aurait dit s'il s'était fait mal.

Mon groupe commença à partir, je le rejoignit sans plus penser. C'était parti pour de longues heures de travail.

=|=|=

Le principe des ateliers était de confectionner les vêtements des prisonniers, les tenues des soldats et ce genre de produits nécessaires pour le respect de l'uniforme. En tant que prisonniers, nos talents de cascadeurs décharnés n'ayant plus rien à perdre servaient à passer sous les rouages et recharger les bonbonnes de fil, puis relancer les machines, et aller aux suivantes puisque ces ateliers ne couvraient pas que notre camp, également ceux qui gravitaient autour de nous. Il y avait néanmoins relativement peu de machines, et c'était pour cela que les ateliers étaient peu remplis, ne recevant même pas de prisonniers tous les jours.

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