Chapitre XIV

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La voix se rapprocha de la porte très rapidement, ne nous laissant pas le temps de réagir. Elle était entrouverte, nous ne l'avions pas fermée. En un geste, Elisa me projeta du côté pivotant du battant, empêchant quiconque entrerait de me voir, et se posta devant l'ouverture. Sans ouvrir, l'homme se posta devant la porte et ordonna à la propriétaire de la pièce, si j'en croyais son ton, de sortir.

— Ja ? Fit Elisa d'un air méprisant après avoir attendu quelques secondes pour adopter une figure impassible, poussant la porte pour l'ouvrir davantage.

Le ton monta rapidement entre elle et l'homme derrière la porte, mais je ne saisissais aucun des mots prononcés, possédant des sons très rapides que je ne connaissais pas et ne pouvais pas capter le sens avec cette vitesse. Mais, le temps passant, je remarquai que l'homme cherchait à entrer, poussant Elisa, qui ne faisait pas vraiment le poids contre lui. En regardant entre les charnières de la porte, je pus voir que l'homme était seul, ou ne possédait pas d'escorte directement à côté de lui. Sans réfléchir plus, je sortis de ma cachette, poussai Elisa sur le côté et attrapai l'homme pour le faire entrer avec nous. Interloqué, il ne réagit pas l'espace d'un instant, me permettant d'aller me saisir de la gamelle gisant sur le sol pour la lui aplatir sur le crâne. Il tituba, étourdi, puis s'effondra. Elisa ne perdit pas plus de temps et ferma la porte, nous enfermant avec le corps assommé d'un garde, maintenant que je le reconnaissais. Puis, elle vint m'enlacer, plaçant doucement sa tête contre mon torse, et je ne sais pas s'il est raisonnable de la trouver aussi mignonne lorsqu'elle fait ça. Elle se détacha rapidement, et me tendit le carnet, déposé sur la couchette.

Elle sembla hésiter entre plusieurs termes, puis bégaya avec peine :

« Li-ire s'il t'plaît.

— Merci beaucoup, la remerciai-je avec mon plus gentil sourire, la faisant sourire aussi. Je peux ? Lui demandai-je ensuite en montrant la chaise. »

Elle hocha la tête, les joues roses et les mains derrière le dos, jouant doucement avec ses pieds. Je lui embrasai la joue, pris d'un courage particulier qui me venait d'un pays inconnu, puis m'assis, prenant mon temps pour contempler le carnet avant de l'ouvrir, chuchotant les mots à mi-voix pour être sûr de les lire correctement.

La première page, que j'avais déjà vue, présentait son petit ''À Luc, mon frère'', qui me remuait le ventre de savoir que Corentin, mon Corentin, les avait écrits pour moi, en pensant à moi. La page d'après, cela se voyait, avait été écrite à un autre moment. L'encre n'était pas de la même teinte, elle différait. Ce genre de détail me faisait encore plus penser que je ne le reverrais plus, je cessai de les regarder, et je lus.

Bonjour Luc. Je sais que ce carnet ne peut pas t'être transmis si je suis vivant, je suis donc bel et bien mort, et cela me chagrine que nous n'ayons pas pu terminer la guerre ensemble, comme nous l'avions commencée. Je m'excuse de t'avoir laissé, j'espère que tu le sais bien.
Ce carnet que tu tiens, il contient ma vie, tout ce que j'ai vécu, car c'est un journal intime. Je t'entends d'ici me demander ce que c'est ; un journal intime est un petit cahier personnel où sont notées tes pensées, ce que tu as besoin d'écrire pour t'en libérer la tête, ou te souvenir de moments dans ta vie, pour ne pas en oublier les détails. Je sais qu'il est assez gros et lourd, mais c'est tout à fait normal, il y a la traduction française, l'originale, l'Allemande, une partie de l'originale également et la traduction pour Elisa, et la polonaise, pour toi.
Donc, dans ces pages, il y a ma vie, avant que je ne te rencontre et après, je l'ai alimenté tout le temps que nous étions enfermés, en cachette. Tout ce que je ne t'ai jamais dit, cela risque de se trouver là-dedans. Je veux que tu prennes du recul. Ne te morfonds pas sur moi, sur ce que l'on a vécu ensemble, sur ce que je t'ai caché. Lis tout cela tranquillement, avec un regard calme et neuf. Ne t'affole pas, de toute manière tout est déjà terminé.

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L'écriture changea, devenant plus ancienne. Sans doute avait-il tout traduit plus tôt, au cas où il mourrait en avance.

Arrête de penser, ça fait trop mal.

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Cher journal,
Mon père m'a dit de te parler de moi, alors je pense que je vais commencer par te raconter qui je suis.
Depuis tout petit, je sais parler, alors que les bébés normaux ne parlent pas. Mais aussi, quand je suis allé en première à l'école près de la maison, j'étais encore un bébé et je ne savais pas marcher.
Vers mes deux ans, j'étais en quatrième, j'avais sauté toutes les classes précédentes. Trouvant cela étrange, ma mère m'a fait passer des examens, et le médecin en a conclu que j'étais surdoué, que c'était rare, mais que j'étais plus intelligent que la moyenne, ce qui, je l'avoue, me semblait étrange. Je ne me sentais pas plus spécial que les autres, ils étaient juste moins forts.
Quand j'avais six ans, je suis parti vivre en France, chez mon père. J'ai vite compris comment parler sans accent allemand, et il était fier de moi, de voir que je m'intégrais facilement. Mais en allant chez le médecin après une piqûre de plante dans le jardin qui m'avait grandement affaibli, j'ai appris que j'étais très allergique à la plante où je m'étais piqué, et qu'il fallait faire très attention. Selon ce médecin, ma santé se remettrait en place de toute manière avec le temps, puisque cette plante m'abaissait mes ''barrières de bonne santé'' pour laisser les maladies m'emporter plus facilement. Avec le temps, cette emprise de la plante serait toujours plus puissante, il fallait donc que je fasse très attention en me promenant dans la nature ou le jardin. Pour me remettre sur pieds plus rapidement, selon lui, il faudrait que je boive du lait, le meilleur choix étant du lait maternel. Mon père lui a demandé d'arrêter de dire des bêtises et de me prescrire un vrai médicament, ce qu'il a fait en commentant que cela me serait peut-être utile un jour.
Après cet incident, mon père ne m'autorisait plus à aller dans le jardin pour jouer, de peur que je me pique encore et que ça soit pire.

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Bien le bonjour, chères pommes de terre.

Alors comme ça, Corentin était surdoué, et au collège à 8 ans ? Voilà qui est surprenant. Et qui justifie beaucoup de choses, nous savons maintenant d'où il tenait toutes ces connaissances surprenantes pour son âge.

Je ne sais trop que vous dire aujourd'hui, alors...

A demain Chères pommes de terre historiennes.

*referme son livre, pose ses lunettes et vous adresse un signe de la main*

Date de la NDA : 09/02/2021
Date de réécriture : 25/08/2022

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