Chapitre IV

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« Ah, Luc, tu as tardé ! Les enregistrements pour les baraquements sont presque terminés ! Me hâta Corentin en m'apercevant devant la porte du bâtiment de l'administration.

— J'arrive...  À quels travaux es-tu attesté cette fois ?

— Ça change tous les jours maintenant, mais normalement je devrais rester à l'usine, me répondit mon ami en me traînant à sa suite à travers la petite vingtaine de prisonniers qui était arrivée avec nous le matin même.

— Je serai aux champs les premiers jours. On ne se verra pas durant la journée.

— Je te laisse, on m'appelle, m'ignora mon ami en s'éloignant vers un garde qui l'appelait effectivement. »

Il a raison de ne pas me répondre, nous sommes censés ne pas nous parler, entre prisonniers. Je ne veux pas lui attirer de mauvaises grâces, alors je fais comme si je ne le connaissais pas et m'approche d'un autre garde, semblant tenir des registres.

« Name. Vorname. Alter.

— Daveddem Luc, 12 ans, répondis-je machinalement. »

Cet aboiement sauvage m'avait été adressé tant de fois que je n'avais plus de difficultés à traduire ce genre de 'phrases'.

Erstes Mal in Auschwitz ?

Question plus compliquée, mais le garde n'en avait visiblement cure. Il ne comprendrait probablement pas si je répondais en Polonais, je répondis donc dans sa langue en tentant de me souvenir de mes faibles connaissances acquises en quelques années d'esclavage ; on nous avait notamment appris à compter pendant les séances de torture.

Ja. Ich... euh... Ja, jetai-je l'éponge, incapable de dire que j'avais huit ans la première fois que j'étais venu. »

Il leva un sourcil face à mon échec de réponse concluante, mais ne fit pas de commentaire. Il baissa les yeux sur sa feuille et me montra un numéro de baraquement, se passant de mots.

« Danke, dis-je en m'éloignant pour aller voir quel était l'état de mon nouvel abri, le baraquement numéro deux. »

Il me regarda bizarrement sans me répondre, je n'attendais de toute façon rien en retour. Sans doute sa surprise venait-elle du fait que la politesse se faisait rare au sein du camp, ou bien que mon accent polonais devait le brusquer.

Aussitôt revenu dans la cour, Corentin m'accosta.

« Alors, quel baraquement ?

— Numéro deux. Et toi ?

— Pareil, au moins serons-nous proches pendant la nuit. Il t'a donné ton numéro de prisonnier ?

— Non, il avait bien vu que je suis une quiche en Allemand, plaisantai-je en m'éloignant un peu, le regard d'un garde se faisant un peu trop insistant sur nous deux.

— Tu as parlé ? S'intéressa mon ami en se mordant la lèvre pour retenir un rire. »

Il savait très bien que mes capacités dans sa langue natale étaient plus que limitées, lui-même avait parfois du mal à me comprendre lorsque je tentais des imitations.

« Hélas. »

Je le vis se mordre les joues pour ne pas laisser échapper de son audible par les gardes. Bah, si quelqu'un a vraiment le droit de se moquer de mon accent, c'est bien lui.

Il s'approcha d'un prisonnier chauve, la vingtaine, petits yeux et grosses narines. Ils conversèrent pendant quelques minutes, durant lesquelles je regardais le camp.

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