Chapitre XIX

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Ce fut à son tour de marquer un arrêt, les sourcils froncés, attirant l'attention du chef de file une seconde fois. Mon ami s'excusa brièvement auprès de lui, désignant sa jambe blessée en guise d'excuse, et reprit la marche en murmurant plus silencieusement que possible, le son inaudible pour les gardes qui faisaient trop de bruit en marchant dans les graviers.

« Mais... tu m'en as parlé il y a à peine deux jours, protesta mon ami, faisant mine de me trouver étrange.

— Non, niai-je en cherchant dans mes souvenirs, ne trouvant pas de moment où je lui aurais parlé d'elle. Et quand bien même, je n'ai jamais prononcé son nom devant toi. »

Sa tête eut un léger spasme, signe qu'il était conscient d'avoir fait une bêtise. Je repris :

« Et puis, pourquoi et comment nous apporterait-elle de la nourriture ? Tu lui demandes de t'apporter du lait ? Où veux-tu qu'elle en trouve ? »

Il ne me répondit pas, plongé dans ses pensées. Le chef de baraque surgit derrière moi, me faisant remarquer qu'on était arrivés.

« Allez, dehors le polonais ! Arrête d'embêter tes camarades ! Râla-t-il avec son accent toujours aussi abominable. »

Corentin me glissa, juste avant que la porte ne se referme :

« Balade-toi un peu, vu que tu es dehors cette nuit... »

Je fronçai les sourcils, regardant le panneau de bois me cacher complètement mon ami. Se promener, vraiment ? L'on n'était pas dans un camp de vacances, des gardes patrouillaient tout de même à intervalles réguliers, et des tours de guet étaient installées un peu partout. Corentin était loin de l'ignorer d'ailleurs, alors pourquoi m'incitait-il à marcher vers la mort ?

Sans écouter sa directive, je m'installai sur ma couchette de fortune, tentant d'ignorer les lancement de ma côte blessée et loin d'être guérie, me tournant doucement pour me mettre à l'aise sans trop souffrir. Autour de moi régnait un silence de mort proprement glaçant, aucun animal ne vivant ici pour faire vivre une petite colonie d'êtres vivants. Quelques cris résonnaient parfois dans le noir, je ne savais d'où ils venaient ni qui les poussait, mais c'était peu rassurant, ajouté à la lumière du phare près des baraques qui me revenait dans la figure toutes les quinze secondes.

L'attente du sommeil fut si longue que j'avais cessé de sursauter à l'entente des hurlements et des sons de bottes contre les graviers de la cour que l'on entendait d'ici, gardant tout de même les yeux ouverts au cas où quelque chose me sauterait dessus. Soudain, les quelques arbres encore vivants autour du camp se mirent à bruisser, leurs feuilles secouées par un vent qui me parvint peu après, complètement gelé, annonciateur de l'hiver. La bourrasque ne s'arrêta pas comme je l'aurais pensé, soufflant même plus fort, au grand désarroi des gardes qui, je les vis au loin, délaissèrent leur tâche de surveillance, puisqu'après tout, qui resterait dehors avec ce vent puissant et frigorifiant ? Ceux qui étaient restés durent s'endormir, puisque les bruits de bottes ne retentirent plus autour des baraques et ailleurs. Seul restait le son du vent, hurlant contre les murs des baraques délabrées et me donnant l'impression de milliers de couteaux pénétrant ma chair tant il était glacé.

Je ne perds rien à me promener un peu finalement, il fait trop froid pour que je m'assoupisse de sitôt.

En me levant, le vent eut plus de prise sur moi, m'envoyant quasiment au sol. Je compris mieux pourquoi les gardes ne patrouillaient plus, il fallait être fou pour croire que quelqu'un s'échapperait avec cette tempête. Je pus faire le tour de l'entièreté des baraques avant d'être certain que plus personne ne surveillait, évitant tout de même la cour principale qui devait être dotée d'une alarme. Cependant, même si cette opportunité de me promener dans le camp de concentration le plus célèbre du coin était inédite, il n'y avait pas grand-chose à voir ou découvrir, du moins dans cet endroit que je connaissait pas cœur. En parcourant les grillages longeant les autres parties du camp fermées aux prisonniers, je découvris un trou au ras du sol, probablement creusé par des animaux en fuite ou une petite explosion, qui sait. Je ne réfléchis même pas lorsque je me baissai pour y passer, ma taille maigre et sous-rationnée ne me posant aucun problème pour me faufiler dans l'espace étroit. Le grillage tinta quand même lorsque je passai mes bras, mais le vent était si fort que je ne craignis pas que quiconque m'entende. De l'autre côté du grillage, je le découvris en m'approchant, se trouvaient les baraques des gardes et des quelques soldats présents ici pour la sécurité, et grâce au phare qui tournait toujours et m'éclairait par intermittence, je sus qu'elles étaient bien mieux isolées que les nôtres, en béton, des portes hermétiques là où nous avions quelques planches assemblées à la va-vite, et des lieux de toilette sur ma droite, dans ce qui ressemble à nos chambres à gaz. Ils auraient dû revoir la conception de ces blocs, je ne suis pas du tout à l'aise en voyant cette ressemblance glauque.

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