Sous ce paragraphe, l'écriture changeait d'encre, signe que la traduction avait été faite à un autre moment.
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Cher journal,
En ce moment, la radio ne cesse d'annoncer la guerre, et même si Papa ne veut pas que je le sache pour étudier tranquillement, les troisièmes de ma classe ne font qu'en parler, arrêtant même de se moquer de moi pour s'inquiéter entre eux et en parler pendant les cours. Si une guerre se prépare bien, je t'avoue que je m'inquiète plutôt pour Maman, qui est toujours en Allemagne. Elle m'a envoyé une lettre, et elle est contrôlée régulièrement parce qu'elle est 'aryenne'. Elle m'a expliqué brièvement ce que c'est, mais le concept m'a laissé dubitatif. J'en ai parlé à Papa, mais il m'a ordonné de me taire et de finir mon assiette. Je pense que lui aussi s'inquiète pour Maman.|=|=|
Cher journal,
Les allemands, ou nazis je ne sais pas, sont entrés en France et ont investi ma ville. Je n'y étais pas, mais cela ne change rien, moi et ma classe avons été pris tout de même en Pologne, lors de notre voyage scolaire. Nous avions perdu notre professeur dans la foule du musée que nous visitions, même si le contraire est censé arriver je te l'accorde, et alors que nous étions dans une salle bondée, des soldats allemands sont entrés avec des armes, nous hurlant de nous mettre à terre. J'obéis en vitesse, avant qu'ils ne tirent, mais mes camarades ne me suivirent pas, ils ne voulaient pas se salir. Ils ont tous été tués, parce qu'ils ne voulaient pas se salir. C'est risible. Les allemands ont ensuite appelé tous les survivants, qui n'étaient honnêtement pas très nombreux, et les ont parqués dans un camion militaire. Le voyage vers je-ne-sais où dure depuis longtemps maintenant, on n'a pu faire qu'une seule pause hier dans la journée pour manger un peu, les soldats autorisant certains à sortir pour se libérer la vessie. J'ai suivi, je ne pouvais plus me retenir, mais j'ai trébuché sur un caillou en revenant et suis tombé sur un bouquet touffu d'orties. Depuis je me sens faible. Je crois que la plante était là, dommage que je sois aussi exposé aux maladies dans ce camion sale.|=|=|
Cher journal,
Hypothèse confirmée, mon mollet a doublé de volume et est bien rouge. J'évite de croiser les regards autour de moi, de peur stupide que les maladies se trouvent dans leurs yeux peut-être. Je me sens faible, c'est épuisant de se retourner sur ce parquet humide et moite. J'espère que Papa et Maman vont bien.|=|=|
Cher journal,
Je me suis fait un ami, il s'appelle Luc, il est polonais. Je n'ai pas eu trop de mal à le comprendre, les conversations autour de moi depuis cinq jours et mon séjour en Pologne m'ont suffi à apprendre cette langue qui n'est pas si différente du français ou de l'allemand au final. Mais en l'écoutant babiller, j'ai pris un petit recul par rapport à mon don ; il ne m'a pas l'air stupide, loin de là, mais il manque tant de connaissances que je doute qu'il ait disposé d'une éducation correcte, ou bien est-ce moi qui suis bien trop en avance pour mon âge ? Cela ne m'a pas l'air si étrange d'être presque lycéen — j'étais encore censé sauter ma classe — mais pour lui, parler une autre langue relève du miracle, il était émerveillé en me voyant comprendre quelques mots d'allemand.
Je te laisse, il se réveille.|=|=|
Une dizaine de petits paragraphes parlaient de la vie à bord de ce camion — Corentin devait beaucoup s'ennuyer pour écrire autant — jusqu'à l'arrivée à Auschwitz.
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Cher journal,
Nous sommes arrivés à Auschwitz, dont on a parlé en classe comme étant l'un des camps les plus grands d'Allemagne, et cela ne me rassure pas que Luc ait été appelé dans le bureau du Général-en-chef aussitôt qu'on soit descendus du camion. Pour ma part, j'ai été envoyé dans la cour principale, au milieu de squelettes vivants qui nous regardaient avec des yeux envieux, voyant encore nos vêtements de civils et nos corps loin d'être aussi décharnés que les-leurs, même si nous n'avions pas été lavés depuis un moment, ce qui se voyait beaucoup. Je me sentais plus faible que jamais, au point culminant du pouvoir de la plante, et je dois avouer qu'il est miraculeux que je ne me sois pris aucune maladie jusqu'à présent. Tenant à peine debout, en proie à des vertiges violents, un garde s'est approché de moi, demandant mon nom, mon âge et ma classe. En lui répondant, convertissant ma classe française en classe allemande, il a coché quelques cases sur sa feuille avant de relever son regard vers moi, comprenant quelque chose sans doute. Puis il a griffonné quelques mots supplémentaires, appelant un collègue pour emmener la feuille au Général-en-chef. Le soldat m'a ensuite demandé ce qu'il fallait pour me soigner, car apparemment un petit Luc de mon âge avait d8t que j'étais malade. J'ai été surpris que Luc demande ma guérison, et puis après-coup c'était prévisible, il est si enfantin. J'ai répondu au soldat qu'il me fallait du lait, et cette information m'était bien utile en fin de compte, merci à mon médecin français. Profitant de la chance que j'avais, j'ai demandé au garde de ne pas nous faire passer par la répartition, moi et Luc, et il m'a assuré que ce n'était pas prévu, de par mon intelligence et le nouveau poste de mon ami. J'ai été rassuré, on ne serait pas séparés.
L'infirmerie où j'ai été emmené, j'ai été heureux de le rassurer, était très simple et se résumait en une pièce blanche et un peu vide. Dans mon angoisse, je m'étais imaginé une salle d'opération sanglante et surpeuplée. Peur irrationnelle, visiblement. Mais cela m'a tout de même semblé étrange d'être soigné dans un camp de concentration et d'extermination.
Je n'ai pas attendu longtemps avant qu'une fille de mon âge entre dans la pièce, un petit bébé sale et maigre dans les bras avec un biberon posé en équilibre précaire sur lui. Elle a posé le bébé sur une petite table non loin de mon lit, le bébé s'est immédiatement mis à geindre, la faisant grimacer, avant de lui appliquer un coup calculé derrière la nuque qui le fit taire.« Sa maman me l'a confié avant d'être gazée, elle aussi pensait qu'elle ne prendrait qu'une douche, a simplement déclaré la petite fille sans se préoccuper davantage du fait qu'elle venait de tuer un enfant. »
Je n'ai pas su quoi répondre. Elle m'a tendu le biberon après avoir retiré la tétine, et j'ai pu avoir le lait. En partant, elle m'a défendu de trahir sa présence, car elle était ici secrètement. Son nom était Elisa.
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Bien le bonjour, chères pommes de terre.
Comment allez vous ? Moi bien... Excusez mon oubli d'hier, j'avais beaucoup d'occupations urgentes, comme... Je ne sais plus, ma mémoire a tendance à me jouer des tours. Toujours est-il que je n'ai pas eu le temps, encore désolée.
Je n'ai d'autres choses à vous dire, alors je vous souhaite une bonne journée et...
A demain Chères pommes de terre historiennes.
*referme son livre, pose ses lunettes et vous adresse un signe de la main*
Date de la NDA : 11/02/2021
Date de réécriture : 26/08/2022
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Elle
Historical FictionCeci est un livre sur la deuxième guerre mondiale. Si vous avez peur du sang, des blessures bien détaillées et des violences physiques, ce livre n'est pas pour vous - à moins que vous ne souhaitiez repousser vos limites, ce n'est pas très hard. Les...