Chapitre III

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Le voyage dura facilement plusieurs heures, sans incident autre qu'une petite panne d'essence sur le chemin. Oui, ce camp avait un sérieux problème de discipline et de stocks, visiblement. Heureusement que nous en changeons.

À notre arrivée, le camion buta sur quelque chose d'épais, à une centaine de mètres du grand portail. Un mort avait été laissé là, au beau milieu de l'allée goudronnée. Il devait sans doute revenir des travaux agricoles, quelques kilomètres plus loin, si fatigants que les jambes se mettent à flageoler dès la cinquième heure consécutive, selon Corentin qui y allait plusieurs fois par semaine. J'étais pour ma part auprès du Général-en-chef, qui m'empêchait de rejoindre les autres, m'obligeant à travailler auprès de lui pour lui donner des choses et l'assister dans son travail.

Une fois entré à l'intérieur d'une cour de graviers, le véhicule se stoppa et fut brutalement roué de coups venant de l'extérieur.

L'intégralité du camion étant en tôles, cela faisait un bruit assourdissant, résonnant dans nos crânes qui semblaient devenir emplis de cymbales.

Les allemands cessèrent en quelques secondes et nous ouvrirent les portes, nous demeurant encore hagards de ce qu'ils venaient de faire. Nous pûmes sortir — en manquant de m'étaler par terre pour ma part car j'avais manqué la marche —, et nous fûmes conduits dans une autre cour, plus grande et cette fois en béton. Quelques soldats partirent en nous laissant 'tranquilles', l'un d'eux ricanant de façon perverse en jetant des coups d'œil derrière lui — son camarade lui donna une tape dans la tête pour qu'il se comporte convenablement — tandis que certains restaient avec nous, arme en joue, tirant dès que nous prenait l'envie de nous asseoir au sol, ce qui était assez difficile car nous n'avions pas mangé depuis deux jours — au moins, aucun de nous n'ayant de montre cela était assez approximatif.

Après une demi heure debout à essayer de ne pas tomber de fatigue, de faim et du froid de l'hiver approchant, le général du camp vint nous faire un discours, tous les autres prisonniers d'Auschwitz nous ayant rejoints sur les graviers aussi gris que les bâtiments.

Je ne vais pas pouvoir répéter son discours en entier, puisque que je n'ai pas compris grand-chose, mais il semble avoir dit des choses assez sobres, Corentin me traduisant vaguement ce que disait le dirigeant : Bonjour ; prisonniers ; Führer Hitler ; patrie ; travaux forcés.

Il a aussi ajouté à la fin de son monologue une drôle de phrase, qu'il a répétée plusieurs fois mais que je n'ai pas plus comprise que le reste de ses mots. Corentin n'a pas voulu me traduire ce que cela voulait dire. À la fin de son discours, nous dûmes applaudir et fûmes dispersés à travers la vaste cour, le repas et les ordres de l'après-midi arrivaient — les prisonniers avaient eu un temps libre exceptionnel la matinée, nous attendant pour partir en travaux.

Je rejoignis Corentin dans un coin de la cour, qui se tenait légèrement voûté en regardant nerveusement autour de lui.

« Ça va ? Demandai-je en arrivant près de lui, murmurant dos à lui pour ne pas être repéré par les gardes. Tu es pâle...

— Je... Oui, ça va, chuchota-t-il les yeux scrutant autour de nous. Tu n'as pas compris son discours n'est-ce pas ?

— Non. Mais toi oui, répondis-je simplement, conscient de sa bilinguité parfaite. »

Il pâlit d'autant plus en se mordillant la lèvre inférieure, qui était gercée à cause du froid. Il balbutia :

« J'ai tout compris et... promets-moi une chose.

— Oui ?

— Ne me demande jamais ce qu'il a dit dans son discours. Ni à moi ni aux autres bilingues.

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