Chapitre XVII

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La dispute que nous avions eue le soir de sa mort me revint en mémoire, un pincement douloureux me prenant la poitrine. Je clignai des yeux plusieurs fois, nous avions réglé ce problème depuis, tout allait bien. Si tout allait bien il serait encore avec moi.

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Cher journal,
Quelquefois, j'ai envie de dire à Luc pourquoi je suis tant intelligent, selon lui, pourquoi je suis comme ça, pourquoi je lui cache des choses, pourquoi je ne lui dis pas tout ce que j'aimerais lui dire. À toi je peux le dire, journal. Je suis jaloux. Pas que du fait que lui et Elisa se tournent sans cesse autour depuis une semaine, mais aussi du fait qu'il parvient à être toujours beau, toujours courageux, toujours forte-être face au Gênéral-en-chef, toujours innocent malgré ce qu'il pense, toujours curieux, toujours si mignon, toujours parfait. Mais il ne s'en rend pas compte et ne sait pas que je le jalouse pour tout ça, parce qu'il est lui-même. Et même si je l'adore pour ça, parfois je le déteste pour la même raison.

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Cher journal,
Tu sais, même si Luc est intelligent et très curieux, je doute qu'il se soit déjà demandé pourquoi nous étions les seuls enfants de notre âge ici, car les plus jeunes à part nous avaient tous aux alentours de seize ans. Il ne sait que ce que je lui dis, il ne tire pas de conclusions par lui-même. Il sait qu'Auschwitz est un camp de concentration, mais il ne sait pas pourquoi Elisa est là, il ne sait pas que les chambres à gaz existent, il ne sait pas le délire nazi des races.
Je sais que si je suis resté, c'était pour mon intelligence. Si lui est resté, c'était pour être le secrétaire du Général, assez jeune et docile pour ne pas poser de questions intempestives ni fouiller dans les papiers. Son innocence, même si je trouve qu'il la perd en ce moment, est ce qui l'a sauvé, et il le lui rend bien. Il sera toujours cet enfant qui m'a hélé dans ce camion

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Corentin décrivait cette innocence telle une qualité, mais je ne pus m'empêcher de me trouver stupide. Quel imbécile. Je m'étais déjà posé la question de notre présence au camp, oui, mais je n'avais rien approfondi, persuadé que si Corentin je m'en parlait pas, ce n'était pas important. Et non, je ne me demandais pas pourquoi les prisonniers autour de nous changeaient de visage régulièrement. Et non, je ne comprenais pas pourquoi nous étions tous là.

Je suis le dernier des demeurés, et Corentin appréciait ce trait de caractère. Il m'appréciait pour mon incapacité à raisonner comme un adulte. Qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez lui ?

Elisa bougea soudain contre moi, me tirant de ma rêverie. Elle enroula ses bras lâchement autour de mon buste, m'apportant un peu de chaleur que je ne refusais pas, j'étais gelé.

Je profitai de ce moment silencieux pour la regarder, tandis qu'elle faisait de même avec moi. Son visage, sale, me fit me demander depuis quand elle ne s'était pas lavée, elle non plus. De la poussière s'était agglutinée sur sa peau, s'effritant quand je passai doucement mon pouce dessus, mais restant accrochée là où quelques larmes avaient déjà coulé et creusé de petits sillons pâles sur ses joues. Ses cils étaient tous agglutinés en petits paquets autour de ses yeux, ses lèvres étaient gercées et faiblement roses, la saleté avait fait pousser des boutons rugueux à plusieurs endroits, mais la lueur dans ses iris me restait brillante de sincérité, l'éclairant toute entière.

La porte s'ouvrit brusquement, nous faisait tourner la tête d'un geste, repérant le garde auparavant à terre qui hélait ses camarades de toutes ses forces. Je poussai Elisa, peut-être un peu trop vivement, pour m'approcher de lui et le faire reculer, prenant la gamelle au sol une nouvelle fois. Seulement, l'assaillant vit mon geste, et me plaqua au sol avant que je n'aie pu faire quoi que ce soit. Ma côte, que je ne sentais plus, me relança vivement, me faisant gémir de douleur, de petits points noirs obscurcissant ma vision. Dans un état comateux, je vis Elisa s'élancer sur mon agresseur, s'asseoir sur son dos sans ménagement, action qui la fit repérer vu qu'il semblait l'avoir oubliée, et prendre son menton à deux mains, le basculant vers le haut en le tournant sans ménagement. Le craquement qui retentit me donna un haut-le-cœur, en tous points semblable à celui qui avait résonné dans le corps de Corentin la veille, et le garde s'affaissa sur moi, sans vie.

« Toi bien ? S'inquiéta mon amie en se relevant, m'aidant à le pousser pour me redresser.

— Attention ! Criai-je en voyant un autre garde entrer et la ceinturer, plaçant ses mains autour de sa gorge. »

Elle cessa de bouger, pour ne pas s'étrangler elle-même, tandis que deux hommes venaient me ramasser par terre, encore troublé de mon malaise. Ils nous amenèrent dans la cour principale, me jetant au sol en arrivant sur l'estrade, me faisant prendre une inspiration étranglée. Je me relevai avec peine pour voir ceux qui nous avaient ramenés parler aux prisonniers en colère. Ils étaient là depuis tout à l'heure.

Le garde prit la parole, sa main toujours autour de la gorge d'Elisa, beuglant des mots au-dessus des detenus, qui ne mirent pas longtemps avant de chuchoter, repris par le communiquant qui pointa son arme sur eux, leur indiquant clairement de se taire. Il eut un mouvement de tête vers moi, me jetant des méfaits sur le dos peut-être, mais les prisonniers recommencèrent à chuchoter, jusqu'à ce qu'une clameur commune hurle « RÉVOLUTION » et que des braves ne montent sur l'estrade pour se battre contre les gardes. Aussitôt, la ronde armée autour des prisonniers s'activa, tirant à qui mieux mieux sur la marée de révoltés. Elisa, aidée par un prisonnier qui assomma son agresseur, revint vers moi et me tira jusqu'à sa chambre une seconde fois, cette fois poursuivis par des soldats qui tiraient encore dans le couloir pour nous attraper. Entrés, elle ne prit pas la peine de fermer la porte branlante, qui ne tiendrait pas l'assaut des allemands, et me donna vite le carnet, avant que la pièce ne soit investie et que les cris ne résonnent, sommant de nous arrêter et de ne plus bouger. Elisa leva les mains, m'indiquant du regard de faire de même, mais mon cerveau me sembla tourner au ralenti. Je vis ses yeux affolés parcourir plusieurs fois la distance entre les gardes et moi, sa supplication qui mourut sur ses lèvres quand le tir tonna, son cri horrifié quand elle baissa son regard sur mon corps, son geste désespéré pour me rattraper — depuis quand est-ce que je tombe ?  —, son second cri quand une trace écarlate barre son corps, suivie de plusieurs autres. Ma conscience me revint enfin, me donnant l'impression étrange de sortir de l'eau.

« ELISA ! Beuglai-je en tentant d'aller vers elle, stoppé par une immense faiblesse qui me traversa le corps, me faisant retomber. »

Les gardes étaient partis en rigolant, on ne les entendait plus dans le couloir, et seuls restions moi et Elisa, allongés sur le sol poussiéreux, nous regardant dans les yeux, nos respirations en suspend. Elle voulut esquisser un geste vers moi, mais son bras retomba, non loin de moi. Je tendis la main pour prendre la sienne, mais mes dernières forces m'abandonnaient, je ne pus que le traîner faiblement, m'arrêtant complètement, frôlant la sienne. Je remontai mon regard dans le sien, qui commençait à s'effacer. Vite, je voulus me souvenir de la phrase que Corentin m'avait traduite quelques jours plus tôt, mais je n'avais plus assez de sang dans mon cerveau, rien me revenait.

« Elisa, murmurai-je essoufflé, ma vision se rétrécissant à un point. Ich liebe dich. »

Je la vis arrêter de respirer une seconde, un sanglot barrant sa poitrine d'un soubresaut.

« Moi aussi, chuchota-t-elle enfin, ses yeux se fermant pour de bon, suivis des miens après un dernier regard sur ses cheveux noirs. »

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Bien le bonjour, chères pommes de terre.

Oui, cette histoire touche à sa fin.

En êtes-vous déçus ?

Mais ne partez pas pour le moment, l'épilogue arrive demain, il conclura cette histoire tragique de trois enfants victimes de la seconde guerre mondiale, tous issus de milieux différents.

Je vous dis donc à demain Chères pommes de terre historiennes.

Date de la NDA : 15/02/2021
Date de réécriture : 27/08/2022

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