Chapitre VII

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Le reste du temps que j'ai passé dans la pièce sale était très silencieux, n'ayant pas d'occupation autre que compter les trous dans la peinture écaillée des murs. Cette activité m'eut vite ennuyé, je pris donc la décision de passer mon temps à rêver d'Elisa, mes questionnements à propos de la raison de son internement ici revenant avec la force de dizaines de balles dans mon cerveau. Cela me dérangea d'autant plus que le Général-en-chef la traîne par les cheveux alors qu'elle l'avait visiblement forcé à me soigner et me sauver, cet acte prenant d'autant plus de valeur que personne ne me détestait autant en ce monde que le Général.

Sauf qu'Elisa est allemande.

Pourquoi les allemands interneraient-ils des allemands ? Corentin est allemand aussi, c'est vrai, quoiqu'il ne l'est qu'à moitié donc ça ne compte peut-être pas pour eux. Mais Elisa a peut-être aussi des gènes non allemands ? Elle ne peut pas être demi française comme Corentin, son accent allemand est trop appuyé.

De toute manière, c'est illogique.

Trois jours d'ennui profond et de questionnements divaguants plus tard, on me donna l'autorisation de sortir et de rejoindre les autres prisonniers, ce qui étonnamment me rendit joyeux. Enfin, joyeux mais borgne. Une partie de mon bonheur subit provenait, je le pense, du fait que l'infirmerie n'avait pas de fenêtre et avait ses néons grésillants allumés en permanence, ruinant tout à fait mon horloge interne qui ne pouvait m'indiquer si l'on était le jour où la nuit. Alors oui, j'étais content de retourner dans un semblant de vie normale.

Je pris conscience de l'heure en sortant du bâtiment de l'administration — je ne savais pas qu'il y avait une infirmerie à l'intérieur, j'aurai appris quelque chose —, voyant les prisonniers réunis autour des marmites du souper. Donc l'on était le soir, je n'étais absolument pas fatigué contrairement à eux. Corentin m'attira dans une brève étreinte en m'apercevant, mêlés dans la masse d'humains affamés.

« Comment tu vas, Luc ? Tu es parti si longtemps, je n'y croyais plus.

— Je me suis rarement senti aussi bien, admis-je en constatant à quel point c'était vrai. J'ai juste un œil en moins.

— Comment ça, "juste"? Tu m'as l'air bien trop heureux pour quelqu'un qui vient de se faire crever un œil.

— Eh, venez par là vous deux ! Intervint un garde en nous voyant. Interdiction de faire des messes basses ! »

Tiens, un garde polonais. C'est rare.

Je me séparai de Corentin sans protester, et le vis se diriger avec notre groupe vers la baraque numéro deux. Je soupirai en les suivant de loin, me préparant mentalement à essayer de dormir sur ma butte de terre exposée au vent et au froid, couche bien différente de celle que j'avais eue pendant mes trois jours de convalescence. Un aussi grand manque de confort me rendrait malade à coup sûr, et pas quelque chose d'agréable c'était bien certain. Je vis tout de même Corentin m'envoyer un regard désolé et compatissant en entrant dans son refuge, grimaçant quand même en voyant mon matelas ou ce que j'utilisais comme tel. Je la lui rendis de bonne grâce.

=|=|=

En me réveillant, j'étais tellement courbaturé que je ne me suis même pas rendu compte que je m'étais levé une demi-heure trop tôt. Tant pis, soupirai-je en lançant un regard vers la baraque fermée, je vais devoir m'occuper. Je me levai difficilement, commençant tout de même par m'étirer parce que ça faisait vraiment mal, esquivant un malaise de justesse en m'asseyant, des points lumineux étant apparus dans ma vision.

C'est annonciateur de la merveilleuse journée que je vais vivre.

J'ai dû passer un moment à me masser les muscles, la porte de la baraque s'ouvrant alors que je terminais. Corentin me lança un regard fatigué, me demandant à travers ses pupilles si j'avais bien dormi — mon regard, je le savais, était bien plus éveillé que le sien, et ça lui servit de réponse. Le chef de baraque à l'accent abominable nous conduisit dans la cour pour chanter l'hymne, qui me parut moins désagréable et interminable que les autres matins où j'avais pu l'entendre faiblement depuis l'infirmerie. Visiblement, s'étirer soigneusement avait du bon. Mais malgré moi et ma bonne humeur matinale, mon regard déviait distraitement vers le bâtiment de l'administration, où j'étais sûr que se trouvait Elisa, peut-être encore en train de dormir, peut-être aux cuisines — ça m'étonnerait, elle ne fait pas partie des prisonniers — ou en train de servir le Général-en-chef, en tant que bonne. Quels vêtements pourrait-elle porter ? Arborait-elle toujours cette blouse masculine longue, ou avait-elle des robes rehaussant sa taille fine et ses cheveux longs ? De quelle couleur étaient précisément des yeux ?

ElleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant