Chapitre 35

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***Henriette***

Oh, Mira... Si tu savais ce que je sais. Tu ne serais pas en train de te réjouir. Oh ! ça non.

Tu t'enfuirais loin de moi. Loin. Très loin.

Mais... Ne serait-ce pas moi qui devrait m'éloigner de ton si beau visage ?

Je ne sais pas si j'en serais capable. Mais si je ne te dis rien, saurons-nous vaincre ?

Une voix intérieure me dit que ce ne sera pas le cas. Nous ne pouvons pas remédier au temps. Non, nous ne pouvons pas l'arrêter. Et nous ne pouvons pas changer notre destin.

Même s'il est funeste.

***Mira***

Maintenant qu'Henriette m'avait donné l'ordre d'appareiller, rien ne nous retenait au large de cette terre. Rien. Plus rien du tout. Nous étions libre.

Notre capitaine, étant exténuée, s'était donc retirée sur le pont pour prendre le soleil. Johan dut prendre sa place pour piloter La Diligente. Il n'avait pas son pareil pour manier le gouvernail et il prenait une certaine habilité à dicter ses ordres au bon moment et les garnissait d'une précision infaillible.

Henriette commençait à reprendre des couleurs et, dès l'instant où nous avons quitté Bonne-Espérance, j'ai senti qu'un poids d'une extrême lourdeur s'échappait d'elle. Ma bien-aimée affichait à présent un sourire chaleureux à quiconque venait lui souhaiter un "bonjour" banal. Elle riait des bonnes blagues du cuisinier et instaura même, après s'être remise d'aplomb, un petit cours de duel pour les marins inexpérimentés en matière d'arme. Johan avait mal vu cet investissement, préconisant à Henriette de ne pas se fatiguer trop vite. Il craignait la remettre trop tôt dans le monde de la marine, de peur de lui faire du mal. Pourtant, elle me confia que c'était sa seule occupation dans la journée, maintenant qu'elle avait été destituée temporairement des ses fonctions et que si Johan l'empêchait d'animer ses cours, à la prochaine attaque, elle se rallierait aux offenseurs.

Moi, eh bien, je continuais à assumer mon poste de vigie, bien que Johan avait insisté pour que je reste le plus souvent auprès d'Henriette pour la divertir. En effet, personne ne désirait replonger dans la morne dépression et la monotonie du temps.

Un soir, alors que j'étais sur le mât à surveiller la mer, Henriette monta me voir.

— Rien à l'horizon ? demanda-t-elle.

Je secouai la tête. Un moment de silence s'installa pendant quelques minutes. J'étais perdu dans mes pensées et elle ne m'en dérangea pas. Une question incessante ne voulait pas sortir de ma tête et pourtant, je ne voulais pas l'en y chasser. Elle était trop importante. Malheureusement, la réponse m'échappait. J'avais beau chercher toutes les possibilités, toutes les alternatives réalisables, rien ne marchait comme réponse convenable. Je soupirai.

— Pourquoi cette marque d'énervement ?

Je levai les yeux vers elle. La vent doux du soir lui balayait les cheveux en arrière et la teinte orangée du ciel jouait avec les ombres sur sa peau.

— Pour bien des choses et pour rien à la fois, répondis-je en chuchotis.

— Ah ! On est bien avancés avec cela ! répliqua-t-elle haut et fort, brisant le silence environnant.

Je souris.

— En effet, nous ne pourrions pas aller plus loin. Aller plus loin... Voilà bien le problème.

— Comment cela ?

Je fronçai les sourcils, voyant maintenant comme lui expliquer mon tourment.

— Nous ne pouvons pas aller plus loin si... si nous ne savons pas les enjeux, les règles, le savoir, qui sont obligés de nous guider.

Décontenancée, Henriette secoua la tête, ne comprenant pas mon raisonnement.

— Nous ne pouvons pas aller plus loin sans savoir ce qui se passera après, vrai ? recommençai-je, sous une autre forme.

— Hum... Oui... enfin, non, tu peux quand même avancer, rien ne t'en empêchera, répondit-elle.

— D'accord, mais si tu veux jouer en prudence, mieux vaut savoir ce qui t'attend plus loin !

Henriette tourna ses beaux yeux marrons plein de malice vers moi.

— Mira, tu peux toujours avancer, tes jambes ne te feront pas défaut. Elles obéissent à ton cerveau et si ce dernier veut impérativement avancer, elles avanceront. Le danger qui pourrait subvenir quand tu avanceras, tu ne pourras pas le prévoir, non. Mais n'y-a-t-il vraiment que le danger qui t'attend là-bas ?

Je ne dis rien.

— Non, il n'y a pas que le danger, Mira. Il peut y avoir le bonheur, l'amitié... l'amour. Je ne sais pas à quoi tu penses, Mira, mais sache que tu pourras toujours avancer, et que la prudence peut être parfois gâcheuse de beaux moments à vivre.

Face à face, nous nous consultions du regard. Nous avions tous les deux de lourds secrets non-dit.

— Cela s'appelle l'aventure, Mira, continua Henriette. Si tu n'avais pas le courage d'avancer, tu ne serais pas là, sur ce bateau, sur ce mât, avec moi. Non, tu ne serais pas là. Parce que tous les marins sur ce bord ne savent en aucun cas ce qu'il va advenir de nous. Personne. Mais ils avancent quand même et fièrement.

— Et toi, sais-tu ce qui va advenir de nous ?

Elle cilla en détournant la tête.

— Oui, je le sais.

ChavirerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant