Chapitre 30

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***Mira***

   Alors que je croyais être oublié de tous, mort de fatigue et de cauchemar, je fus sorti de ma cellule. Je ne voyais rien. Mes yeux étaient encore sous l'effet du sommeil éternel qui allait enfin me prendre, il avait eu pitié de moi. On me tirait par les épaules, ne prenant aucune mesure pour me relever les jambes ou me mettre debout. Je ne pouvais pas bouger, tellement j'étais engourdi de tout ce temps passé assis à la cale. Le froid des escaliers plein de poussière me glaça jusqu'au os. Les deux personnes qui m'emmenaient - il y en avait deux, apparemment - me soulevèrent de ma prison et là...

   Une vive lumière s'infiltra par dessous mes paupières. Mes geôliers me posèrent à terre, me laissant le temps de me remettre. Je sentais le bois du pont rugueux sous mes habits. Pouvais-je encore bouger mes doigts ? J'essayais d'insuffler cet ordre jusqu'au bout de ma main et mes phalanges répondirent d'aplomb. Un minuscule étonnement vint me prendre. Est-ce que je pouvais me lever ?! Je remuai mes orteils, découvrant que je n'avais jamais été aussi heureux de les sentir. Je posai mes mains à plat sur le bois et réussis à me mettre accroupi. Puis debout. 

Je respirai.

  Un vent salé passa sous mes narines et m'ébouriffa les cheveux. Je vivais. Allais-je ouvrir les yeux ? Non. Je reverrai les horreurs du monde. Non. Le monde était bien quand même.

  Mon cerveau ordonna à mes yeux d'observer le monde. C'est ce que je fis. Et je ne regrettais pas de l'avoir fait. La mer, ç'avait toujours été toute ma vie. Pourquoi l'avais-je quittée ? 

  La folie des hommes les menait parfois à faire des choses bien incompréhensibles. Ils se laissaient influencer bien facilement. Je souris. Que c'était bon de revivre.

— Mira !

   Je me retournai et vis un homme s'avancer vers moi. Il me disait quelque chose, avec son beau pourpoint et son allure de jeune, tout comme moi. L'homme me tendit une main tremblante. Je regardai son geste comme si je n'avais jamais vu ça. Personne ne m'avait touché depuis bien longtemps.

— Mira...

  Je levai les yeux vers cet homme qui me parlait. Ses prunelles marrons étaient rongées par l'inquiétude et dévastées par la tristesse. Je ne connaissais pas cet homme. A moins que je le connaissais autrement.

— C'est moi, Mira, reprit-il, inquiet. Johan.

   Un déclic se fit dans ma mémoire. Oui, je me souvenais, maintenant. Johan. Le second d'Henriette. Ce brave marin, fidèle à son rang. Il m'avait beaucoup aidé et aimé.

— Johan...

Je ne reconnus pas ma voix. Elle était enrouée comme celle d'un vieux chien. Je m'éclaircissis la gorge et redis d'une voix hésitante :

— Johan. Je me souviens de toi.

Une lueur d'espoir traversa les yeux de mon ami.

— Mira... Comme je suis heureux de te revoir.

Il ne fit aucun geste pour m'étreindre. Il tremblait encore.

— Que t'est-il arrivé, Johan ? Tu as l'air perdu, remarquai-je.

Le second se mordit la lèvre pour empêcher de faire naître... Un sourire ou une grimace ?

— Tu me demandes ça à moi ? répondit-il. Peut-être devrais-je te poser la question mais... Bref. Moi, je n'ai pas d'importance. Mais Henriette si.

Je n'eus aucun mouvement à ce nom, ce qui parut bien étonner Johan.

— Mira, on a besoin de toi, assena-t-il.

   Sans plus de cérémonie, il me prit par le bras et m'emmena dans la cabine de cuisine du bateau. A l'intérieur, il me passa des habits propres et m'ordonna de les mettre, de me laver et de me coiffer. J'obéis sans me faire prier. Me débarrasser de la crasse de la cave fut un vrai soulagement. L'eau effaçait l'enfermement et les pensées de mort. Ma toilette finie, Johan me fit monter sur le bastingage et me mit devant lui. Il me scruta de la tête aux pieds.

— Tu as changé, Mira. Je ne sais pas si tu lui produiras le même effet qu'avant. Enfin bon, soupira-t-il, c'est elle qui a demandé à te voir. Elle en assumera les conséquences.

   Et Johan ouvrit la porte de la cabine du capitaine, me poussant à l'intérieur avant de refermer la porte. Je n'étais jamais entré dans cette pièce, avant. C'était surtout Henriette qui venait me voir sur mon mât pour discuter. La salle était assez luxueuse comparée aux autres dortoirs. Une couchette était incrustée dans le mur, une bibliothèque accolée à cette dernière. Enfin, un bureau avec plein de livres, de papiers et de cartes était devant moi. Une chandelle brûlait.

Et un regard pétillant me fixait.





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