Chapitre 24

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***Henriette***

Je n'arrivais pas à dormir.

C'était une des premières fois que je n'y parvenais pas. Et cela me rendait furieuse. J'ai toujours su que je réussirai à dompter tous les obstacles de ma vie. Sans aucune exception. Tout serait inférieur à moi. Sans aucune exception. Alors, que le simple sommeil me perturbe, cela me mettait dans un état de colère critique.

Je décidai de sortir sur le pont, histoire de me changer les idées. J'avais pourtant réussi à passer ma peine au sujet de Loïc, en décidant d'ignorer cette partie là de mon histoire. J'avais réussi à tenir tête à mes parents, à leur dire non clairement. A partir selon mon envie. Et pourtant, le sommeil se jouait de moi. Juste pour me ridiculiser. Comme si je n'avais pas assez souffert.

Les hommes et Elodie faisaient la fête autours d'un petit feu. J'entendais la musique s'élever dans l'air et des rires casser le silence de la mer noire. Je n'avais pas envie de me joindre à eux. En plus, Johan dormait encore. Pff, quel chanceux, lui.

Soudain, une pensée m'amena à dévisager plus attentivement les hommes d'équipage. Il n'était pas là.

Sans me faire remarquer, j'arrivai au bord du bateau, et montai dans les cordages, aussi agile qu'un serpent. Quand mon ascension prit fin tout au bout du grand mât, à la nacelle de la vigie, je ralentis et me penchai en avant pour voir où était Mira. Personne.

— Si tu croyais être discrète, c'est raté, me lança une voix.

Je relevai brusquement la tête et le vis au-dessus, tout en haut du mât, à ma place habituelle. Je dus le regarder bêtement car il dit :

— Allez monte, maintenant que tu es là.

Honteuse et furieuse de m'être faite prendre à sa place, je montai rageusement dans la nacelle.

— Pourquoi n'es-tu pas avec les autres ? demandai-je, toujours pas calmée.

Il haussa les épaules.

— Oh, parce que je ne les connais pas encore très bien.

— Mais tu pourrais si tu y allais.

— Oui, mais... J'ai failli y aller, jusqu'à ce que je te voie te faufiler hors de ta cabine.

Je grondai.

— Tu m'observais donc ?!

Il prit un air rieur.

— Ce n'était pas d'abord toi, mais oui, si on veut. Calme-toi, il n'y a pas mort d'hommes.

Je m'efforçai de respecter son conseil. Mira me fixa quelques instants, puis vint s'asseoir à côté de moi.

— Et toi, tu ne dors pas ? s'enquit-il.

Je réfléchis à ma réponse.

— Il me semble que non. Je n'y arrive pas.

Un silence s'installa. Ce qui était bien avec ce garçon, c'était que l'on n'avait pas besoin de parler à tout bout de champ. Le silence ne pesait à personne. Pourtant, ce soir, il me fit démentir.

— Est-ce... par rapport à Loïc ?

Je n'aurais jamais cru qu'il me poserait cette question. Jamais. Certes, je lui en avait parlé, mais jamais je n'avais voulu qu'il réagisse dessus, et il s'en était abstenu. C'était maintenant qu'il choisissait son moment.
En plus, il avait vu juste.

— En partie, répondis-je, émue.

Remarquant mon changement de ton, il s'alarma.

— Je t'ai blessée ? Désolé, je suis allé trop loin, s'excusa-t-il précipitamment.

— Non, non ! Ne t'inquiète pas.

La façon qu'il avait eu de se pardonner tout de suite m'avait choquée, plus par sa réaction que par ses paroles. Timidement, je lui demandai :

— Suis-je si terrifiante que ça ?

Ma voix, toute petite en ce moment, le fit sursauter malgré la faible tonalité de cette dernière. Il se détourna de moi.

— Qui t'a dit ça Henriette ? répondit-il. En aucun cas tu ne l'es.

Son regard fuyait le mien, comme s'il pouvait s'empoisonner juste en me regardant. Son attitude me révolta, jusqu'au plus profond de mon être, allant enflammer mon corps sans omettre aucune parcelle. Quand je parlai enfin, ma voix n'était plus faible, mais un grondement assourdissant, pareil au tonnerre.

— Mira, tu me mens, encore une fois ! Si je suis terrifiante, tu n'as vu que la plus infime partie de la peur que je peux inspirer ! Alors, si tu ne veux pas connaître cette partie de moi, je te somme de me répondre honnêtement, et sur-le-champ !

Le vigile se tourna vers moi, mais il ne prit pas une mine effrayée, quoi que je supposais que ma tête devait être horrible.

— Voilà ce que j'attendais de toi, Henriette, répondit-il tranquillement. Tu veux m'impressionner, mais tu as besoin de la persuasion forcée pour arriver à tes fins. Pour te faire respecter du bateau entier, je ne sais combien d'hommes as-tu dû menacer.

— Et alors ? répliquai-je, toujours sur la défensive. Si tu étais à ma place, tu saurais qu'être une femme capitaine est dur, que j'ai dû travailler avec acharnement pour arriver à être ici, que j'ai dû sacrifier énormément de chose, jusqu'à mon meilleur ami qui a sombré dans la démence et la vie familiale, qui est morte en même temps que mes parents ! J'ai tué tous ceux qui devaient compter le plus pour moi sur Terre ! Te rends-tu compte ?! Je suis seule ! Horriblement seule ! Malgré les apparences, je ne suis pas une fille qui n'a pas de cœur, sans aucune émotion, non ! Je ne les laisse juste pas remonter pour pas que le monde me croit faible ! C'est cela, la piraterie ! Je ne digère pas que l'on me donne des ordres, voilà pourquoi nous ne sommes pas corsaires ! Je déteste que quelqu'un soit plus fort que moi dans une matière que je pense maîtriser, comme ce stupide sommeil ! Je n'arrive pas à garder mes amis, comme ce Loic ! Je n'ai jamais su aimer ma mère comme elle voulait que je le fasse ! JE NE SUIS BONNE A RIEN, BON SANG !

Mira resta impassible. Moi, je remarquais que je pleurai comme une cascade. Je m'étais effondrée par terre, sur le bois de la nacelle, je sanglotais comme une enfant démunie. J'avais déballé toutes mes émotions, la haine, la colère et la tristesse. J'en avais besoin. Ç'avait été la meilleure chose à faire.

— Calme-toi, Henriette...

Mon ami me releva doucement pour poser ma tête sur son épaule et m'entourer de ses bras réconfortants. Un silence s'installa, ponctué de mes sanglots incessants. Mira le brisa :

— Tu sais, Henriette, je pense que j'aime ta façon de commander, ta façon de parler, de t'habiller, de te rebeller. J'aime ton caractère et le comprends, je sais ce que tu ressens, à chaque fois que tu me parles de ton enfance et de tes douleurs. Je le sais. Et je t'aime. Je t'aime parce que tu es belle, que tu es venue me secourir, au fond de ma ville, que tu m'as accepté. Je t'aime pour tout ça.

Mais je ne l'écoutais plus. Le sommeil s'était enfin décidé à me céder.

ChavirerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant